Mélenchon le Libertador
Edito de Laurent Joffrin dans Libération le 14 avril
Ce n’est plus une politique étrangère : c’est une politique exotique. Méditant un tournant stratégique pour le pays, Jean-Luc Mélenchon prévoit dans le point 62 de son programme de faire adhérer la République française à l’Alliance bolivarienne des Amériques, obscure coalition montée en 2005 par le Venezuela, Cuba et une poignée d’autres îles des Caraïbes, avec le soutien de la Russie et de l’Iran, pour faire pièce aux menées de l’impérialisme yankee. Elle tient son nom de Simon Bolivar, le «Libertador», héros de l’indépendance latino-américaine.
On ne saurait sous-estimer l’importance du projet. Notre Libertador à nous envisage de quitter ces deux organisations marginales et obsolètes que sont l’Otan et l’Union européenne, qui sont décidément peu de choses à côté de cette Alliance bolivarienne vouée à un avenir radieux. La France échappera ainsi à l’oppression américaine pour nouer des liens étroits avec ces démocraties impeccables que sont la Russie et l’Iran. Elle sortira surtout d’un tête-à-tête stérile avec l’Allemagne dominatrice pour se concentrer sur ses relations nouvelles et prometteuses avec les îles Saint-Kitts et Nevis.
Le commandante Che Mélenchon pose un regard tout aussi neuf sur les autres domaines de la politique mondiale. La crise syrienne, par exemple, n’a pas grand-chose à voir avec la révolte populaire contre la dictature féroce du clan Assad, l’acuité de l’affrontement chiite-sunnite ou encore la folie fanatique de l’Etat islamique. Elle découle principalement d’une bataille entre puissances impérialistes pour le contrôle de trois pipelines régionaux, comme on le voyait déjà dans Tintin au pays de l’or noir. Aucun de ces pipelines n’existe et ils ont peu de chances de voir le jour. Deux d’entre eux ont un tracé qui ne passe pas par la Syrie. Mais enfin, seuls les esprits faibles peuvent s’y tromper : les ruses de l’impérialisme sont infinies.
De même il faut cesser d’importuner sans cesse ce brave Poutine, si accommodant quand on ne le provoque pas en critiquant l’assassinat de journalistes, la tentative de déstabilisation de l’Ukraine ou les quelques massacres qu’il a pu commettre par inadvertance en Tchétchénie. Au contraire, dans une envolée gaullo-trotskiste, le général Mélenchon propose une conférence européenne de l’Atlantique à l’Oural, destinée à négocier des amendements de frontières sur le continent. La plupart des spécialistes de politique internationale estiment que c’est faire un cadeau somptueux à la diplomatie poutinienne et ouvrir une boîte de Pandore, rappelant que les deux guerres qui ont ravagé le continent sont nées de la volonté de l’un ou l’autre de remettre en question les frontières. Mais ce sont considérations conformistes et crypto-atlantistes…
Mélenchon a enfin soutenu continûment le pouvoir vénézuélien, composant ode sur ode à Hugo Chavez et à ses successeurs. Ces louanges ont été mises en sourdine depuis que le pays a sombré dans le chaos. Le régime chaviste, de plus en plus autoritaire, a réussi le tour de force d’instaurer, sur fond d’hyperinflation, une grave pénurie des produits de première nécessité au Venezuela, notamment des médicaments, alors qu’il est assis sur les plus grandes réserves pétrolières au monde. L’évolution du Venezuela rappelle cette vieille blague anticommuniste : le Parti communiste prend le pouvoir au Sahara ; première année, il ne se passe rien ; deuxième année : pénurie de sable. Drôle de modèle, tout de même…