Comment faire beaucoup mieux en matière de transports sans peser sur nos finances publiques
Résumé : Avant de mettre en place des taxations supplémentaires éco-responsables supposées modifier les comportements, avant d’imaginer les nouvelles pratiques de la mobilité du futur avec les NTIC, et ou des projets industriels ambitieux et de construire de nouvelles lignes à grande vitesse, on peut revenir aux fondamentaux et à des moyens efficaces de développer des transports en commun pertinents. Nous proposons les bases d’un modèle de mobilité fondé sur la réalité des besoins et du pouvoir d’achat de nos co-citoyens en réalisant des réformes législatives et réglementaires simples ayant pour conséquences d’une part le développement du transport intérieur par autocar en développant des bus « Greyhound » à la française, d’autre part en réformant les ambulances parce qu’une mobilité durable, ce n’est pas seulement pour les biens portants, mais c’est aussi pour les malades et nos plus âgés, pour le respect de leur personne et de leur dignité, et enfin le développement de la petite remise en mettant un terme à la politique systématique d’extinction qu’elle a du subir au profit du renforcement du monopole des taxis.
Le transport en commun est au cœur du développement durable, il en représente les enjeux les plus concrets. Mais il est plus que cela, il est une pierre angulaire de la cohésion sociale, de la structuration d’un espace public de qualité, et de la possibilité offerte à chacun de se mouvoir librement dans la société pour y œuvrer et y réaliser ses aspirations.
Notre politique de transport en commun ne peut qu’être ambitieuse. Elle se doit de parvenir à allier le souci d’une mobilité durable, et les aspirations légitimes de chacun à une mobilité adaptée à ses besoins et ses envies.
Il est possible d’aller dans le sens d’une désappropriation des moyens individuels de transport, qui est de plus en en plus présente dans nos villes avec le développement des vélos ou des voitures en partage et accès libres. Il est même possible d’imaginer que l’achat d’une voiture individuelle ne soit plus une nécessité, et devienne complètement inutile, y compris pour ceux d’entre nous qui habitent dans les zones rurales ou semi-rurales. Il en va du respect de l’environnement, de nos villes, de nos espaces publics, mais surtout de nos jeunes, de nos personnes âgées, de tous ceux qui ne peuvent se permettre d’acheter une voiture.
1. Pour des bus Greyhound à la française : le développement du transport intérieur par autocar
Contrairement à la quasi-totalité des pays européens, du fait de l’article 29 de la LOTI (loi d’orientations des transports intérieurs), une législation très contraignante, le transport intérieur par autocar sur des liaisons régulières de longue distance n’existe quasiment pas en France.
En décembre 2009, la loi relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires a légèrement amendé la LOTI en ajoutant un article 29-1 permettant le cabotage des lignes internationales. L’Etat peut ainsi autoriser, pour une durée déterminée, les entreprises de transport public routier de personnes à assurer des dessertes intérieures régulières d’intérêt national, à l’occasion d’un service régulier de transport routier international de voyageurs, à condition que l’objet principal de ce service soit le transport de voyageurs entre des arrêts situés dans des Etats différents. L’Etat peut limiter ou, le cas échéant, interdire ces dessertes intérieures si la condition précitée n’est pas remplie ou si leur existence compromet l’équilibre économique d’un contrat de service public de transport de personnes. Il peut être saisi à cette fin par une collectivité intéressée.
On pourrait aujourd’hui aller plus loin en soumettant à un simple régime de déclaration les entreprises de transport routier de personnes qui souhaitent assurer des dessertes intérieures régulières d’intérêt national en dehors des lignes internationales.
De nombreuses lignes ne sont en effet pas ou peu desservies par la SNCF comme Nantes-Lyon, Lille-Strasbourg, Nantes-Poitier ou encore Nantes-Bordeaux-Toulouse. La SNCF n’a pas à se sentir menacée par ce développement alors que ses trains interrégionaux lui ont couté un déficit de 70 millions l’an dernier. Son assise n’est de toute façon pas menacée, à preuve dans les pays d’Europe où ces bus longue distance existent déjà, ces derniers représentent un marché de niche ayant acquis entre 1 % et 11 % du marché de transport de voyageurs. Ces autocars sont de véritables alternatives à la route pour des lignes transversales entre métropoles régionales ou pour d’autres liaisons spécifiques aujourd’hui mal assurées (villes moyennes, campus universitaires régionaux par exemple). Les liaisons en autocar ont du sens là où la SNCF n’est pas en mesure d’assurer un service correct. L’efficacité socio-économique et écologique de l’autocar par rapport au mode ferroviaire se démontre au cas par cas, compte tenu des effets possibles sur la consistance du réseau et sur l’optimisation des financements publics.
L’utilisation des autocars est également plus rationnelle du point de vue écologique puisqu’elle se substitue à l’usage de la voiture pour des origines-destinations qu’aucun transport public n’assure aujourd’hui, et permet surtout de libérer des sillons de fret en évitant de faire circuler des TER quasi-vides. L’adoption du régime de déclaration permettrait ainsi le développement de l’offre de transport public avec une véritable alternative à la voiture sur certains trajets et donc un moindre coût pour ces déplacements, d’améliorer la mobilité entre certaines parties du territoire, et de créer des emplois pour le développement de ces nouvelles lignes, sans investissement public. Il s’agit d’une mobilité mixte en totale complémentarité avec le ferroviaire. On pourrait même aller plus loin en exigeant l’usage de bus hybrides pour l’exploitation de ses lignes, ce qui les rendrait écologiquement encore plus vertueuses.
On pourrait ainsi proposer un amendement de l’article 29-1 de la LOTI qui préciserait « L’Etat autorise sur déclaration, les entreprises de transport routier de personnes à assurer des dessertes intérieures régulières d’intérêt national. L’Etat peut limiter ou, le cas échéant, interdire ces dessertes intérieures si leur existence compromet l’équilibre économique d’un contrat de service public de transport de personnes. Il peut être saisi à cette fin par une collectivité intéressée. »
Il s’agit ici de respecter l’environnement, et tous ceux d’entre nous qui ont besoin des transports collectifs.
Il faut en effet souligner la grande modernité du transport par autocar et ses avantages collectifs, notamment en termes environnementaux grâce à l’application des normes européennes. L’absence de lignes routières nationales peut sembler en décalage avec la qualité du réseau routier et autoroutier français. Il est important de développer une offre complémentaire ou alternative pour permettre de mieux se déplacer sur le territoire national. Ces services seraient exploités aux risques et périls de l’opérateur, ce qui serait neutre pour les finances publiques. La mise en place de ces lignes pourrait permettre, comme dans de nombreux pays européens, d’offrir des services différents ou complémentaires de ceux actuellement offerts par le train. Cette diversification de l’offre contribuerait à une mise en œuvre plus dynamique et diversifiée du droit du transport et pourrait constituer un élément de réponse aux tensions pesant actuellement sur le pouvoir d’achat, sans que ces contrats ne portent atteinte à l’équilibre économique des services publics effectués par chemin de fer.
Les mesures annoncées par Thierry Mariani, ministre chargé des transports, au cours de ce mois de septembre ne changent rien au système en place. Il s’agit d’ouvrir près de 230 nouvelles dessertes interrégionales de transport routier de voyageurs, mais toujours dans le cadre de lignes internationales. Ainsi un autocar partant de Paris pour se rendre à Lisbonne pourra embarquer et débarquer des passager à Poitiers, Niort et Bordeaux, points d’arrêt de la ligne internationale uniquement à condition que le nombre de passagers nationaux transportés représente moins de la moitié du nombre total de passagers transportés dans le cadre du service international. En réalité, ces nouvelles mesures restreignent encore l’accès à de nouveaux services de transport à des conditions tarifaires avantageuses.
2. Pour une réforme des ambulances
A titre préliminaire et avant tout débat sur les ambulances, il faut souligner que le recours aux ambulances doit être beaucoup plus limité, et beaucoup plus encadré. En réalité quelle proportion des gens qui prennent des ambulances ont réellement besoin de soins médicaux tels que sont censés en apporter les ambulanciers ? Entre 1997 et 2006, les remboursements affectés aux transports sanitaires – ambulances, véhicules sanitaires légers (VSL) et taxis – ont augmenté chaque année de 8 à 10 %, pour atteindre un budget de 2,2 milliards d’euros. En 2007, le montant remboursé par l’assurance-maladie n’a progressé que de 5,7 %, contre 9 % l’année précédente, ce qui représente une économie de 24 millions d’euros. Mais il reste encore de la marge, et la réduction du recours aux ambulances est une évolution nécessaire avant de procéder à une réforme de fond du système ambulanciers. Une mobilité durable, ce n’est en effet pas seulement pour les biens portants, mais aussi pour les malades, pour le respect de leur personne et de leur dignité.
Le système ambulancier français est aujourd’hui en pleine déliquescence. Il n’est pas à la hauteur de celui des autres pays européens, il n’est pas à la hauteur de ce que l’on attend de lui aujourd’hui en France. Dans le cadre d’une réduction des dépenses de santé efficace pour sauver notre sécurité sociale, le développement de l’hospitalisation à domicile est un objectif. Disposer d’un système d’ambulances fiable et de qualité est la condition du développement des hospitalisations à domicile, de l’externalisation des pôles hospitaliers des centres villes et donc un des éléments forts d’économies pour sauver notre système de santé. Mais pour ce faire il faut absolument réformer nos ambulances.
Il est urgent d’agir, aujourd’hui trop de scandales secouent notre système ambulancier, les accidents et les négligences ont été trop nombreux. Le métier d’ambulancier est considéré comme un métier de transporteur, et non comme un métier paramédical. Les ambulanciers ne reçoivent qu’une formation de courte durée, la licence étant accordée aux véhicules et non aux conducteurs, en fonction de critères démographiques. Le diplôme d’Etat d’ambulancier est une formation trop légère qui ne requiert aucun diplôme pour pouvoir s’y inscrire. Il n’existe aucune obligation de formation professionnelle continue ou de mise à jour alors que les sapeurs pompiers, par exemple, doivent suivre une obligation de formation professionnelle annuelle obligatoire. La demande d’agrément n’exige que des renseignements écrits sur les véhicules comme les certificats d’immatriculation ou la liste du matériel embarqué. Aucun contrôle par les services des affaires sanitaires et sociales du matériel n’est exigé. Quant à l’autorisation de mise en service, elle n’est liée qu’à l’évaluation numérique des besoins sanitaires de la population départementale et à aucune autre considération comme la qualité des prestations et services rendus.
Il faut, comme aux Pays-Bas, comme en Angleterre, comme en Allemagne, réformer nos ambulances pour exiger des efforts sur la qualité des services, sur la formation ambulanciers, des efforts sur les prix des prestations, exiger le développement de label de qualité pour contraindre les ambulanciers à fournir de bonnes prestations. Aujourd’hui, les centres de soins palliatifs eux-mêmes peinent à trouver des ambulances sûres et équipées de coques pour leurs patients en fin de vie. Il est donc urgent d’agir parce que lorsque les plus faibles sont confrontés à des difficultés de transport sanitaire, il est souvent trop tard et n’ont plus le choix de leur ambulance. Parce que le secteur des ambulances constitue un secteur économique en pleine croissance, du fait du vieillissement de la population, il faut que notre Etat se donne les moyens de réorganiser ce secteur, pour être exigeant, et ne plus continuer à rembourser au prix fort des prestations qui ne sont pas respectueuses de nos plus fragiles et de nos anciens. En somme, il faut beaucoup moins d’ambulances, mais beaucoup plus adaptées et de meilleure qualité.
3. Pour le développement de la petite remise
La question des taxis est, surtout à Paris, un débat récurrent. Déjà en 1960, dans le célèbre rapport du comité Rueff-Armand sur les « obstacles à l’expansion économique », Jacques Rueff avait choisi la régulation des taxis parisiens comme l’une de ses dix études de cas pour en dénoncer les effets pervers. On ne cesse fournir des comparaisons avec d’autres métropoles, mais toutes ces comparaisons sont très superficielles. Elle néglige l’importance du secteur de la petite remise et le rôle qu’elle joue dans la mobilité des pauvres et dans l’intégration des quartiers déshérités. Les voitures de petite remise sont des voitures qui offrent le même service que les taxis, à cela près qu’elles ne peuvent répondre qu’à des commandes passées par téléphone, ne peuvent pas être hélées dans la rue, et couvrent essentiellement les quartiers excentrés. En région parisienne, la petite remise est quasi inexistante. Alors qu’à Londres et à New York, elle s’est rapidement développée, à Paris et dans les grandes villes françaises, elle a fait l’objet d’une politique systématique d’extinction au profit du monopole des taxis.
Le développement de la petite remise peut jouer un rôle clef dans la mobilité des ménages pauvres et non-motorisés, ou l’intégration des habitants des quartiers déshérités. Le chiffre si bas de véhicule de petite remise ne tient pas au manque d’esprit d’entreprise de nos concitoyens mais au fait qu’en France, les demandes d’autorisation pour des voitures de petite remise doivent passer devant la même commission que les demandes pour les taxis. Dans ces commissions, le poids des représentants des taxis est prépondérant, et les préfets qui président ces commissions ont reçu l’instruction de décourager le développement de la petite remise. Cette politique a conduit au déclin de la petite remise alors qu’à Londres ou à New-York, en revanche, les services chargés de la régulation des taxis ont favorisé le développement de la petite remise en dépit des protestations du lobby des taxis. Ainsi contrairement aux idées reçues, là ou les parisiens n’ont que 15.000 taxis pour répondre à leur demande de déplacements, les new-yorkais ont 13.000 taxis et 42.000 voitures de petite remise, les londoniens ont 20.000 taxis et 50.000 voitures de petite remise. Alors qu’il n’y a que 94 voitures de petite remise dans toute la région parisienne et leur nombre diminue d’année en année.
Contrairement aux taxis qui sont utilisés par les ménages les plus aisés et motorisés, les véhicules de petite remise sont utilisés par les ménages les plus modestes ou non-motorisés pour effectuer des déplacements que les transports collectifs rendent malcommodes comme les courses, les affaires personnelles, les visites chez des amis ou l’accompagnement d’enfants à l’école, ou encore des visites chez le médecin ou à l’hôpital. En Angleterre ou en Suède, les services sociaux ont l’habitude de prendre des abonnements auprès des véhicules de petite remise et ainsi de négocier les prix.
L’étouffement de la petite remise est une grave erreur car le développement de la petite remise outre son impact sur la mobilité offre un grand potentiel de développement des emplois, principalement dans les zones défavorisées. On estime que le secteur emploie directement ou indirectement plus de 80.000 personnes à Londres. Il s’agit là d’emplois nombreux et durables qui ne sont pas financés par le contribuable.
Les impacts de la restriction de la petite remise ont déjà été très préjudiciables. D’abord, interdire l’accès des plus modestes aux services de taxis contribue à l’enclavement des quartiers et à la ségrégation. De plus l’absence d’alternative au transport collectif est, pour les ménages les plus modestes, une incitation de plus à se motoriser, généralement en achetant une voiture vieille et polluante, et qui, une fois achetée sera une incitation aux déplacements individuels. Enfin, quand il y a une demande, il ya une offre, celle des taxis pirates. Outre que la clandestinité a un coût élevé, elle contribue à maintenir des zones de non-droit et favorise la ghettoïsation.
Il en va du respect de nos banlieues, de nos quartiers excentrés et de ceux qui y vivent, nous devons développer la petite remise dans nos villes.
Les Gracques
Crédits photo (creative commons) : la photographie utilisée pour illustrer cet article a été prise par David DeHetre