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Investissements de gauche, investissements rentables

La presse anglo-saxonne n’a pas été tendre avec François Hollande ces dernières semaines. Entre couvertures assassines de The Economist (dont le dernier numéro est intitulé rien moins que « Le dangereux M. Hollande ») et gros titres éloquents du Financial Timesou du Wall Street Journal, le candidat socialiste a été caricaturé, aux yeux du monde des affaires, comme une menace pour la stabilité économique et les finances publiques.

François Hollande est notamment soupçonné de vouloir, par la négociation d’un nouvel accord européen sur la croissance, mettre fin à la frugalité budgétaire à laquelle s’étaient pliés la plupart des Etats membres depuis 2011. En particulier, la perspective de voir la France obtenir l’émission d’Eurobonds pour profiter de la garantie allemande et poursuivre une politique de gauche dispendieuse, inquiète terriblement les investisseurs.

Cette condamnation ne surprendra pas les lecteurs du FT qui savent le talent de leurs éditeurs à fustiger la France par tous les moyens, ne serait-ce qu’au nom des intérêts de la city. Mais cette campagne ne prospérerait pas à ce point s’il était clair aux yeux des investisseurs : d’abord que la gauche n’est pas l’ennemie du marché ; et ensuite que François Hollande n’emploiera les marges de manœuvres budgétaires nouvelles, résultant de la négociation européenne, que pour des investissements économiquement rentables.

Les marchés ont le droit de critiquer les politiques dispendieuses de subventions publiques. La droite au pouvoir en a usé et abusé au cours de la décennie écoulée. En revanche un programme de relance économique par des investissements publics dans des projets industriels à fort retour ne pourra que crédibiliser la gauche aux yeux des marchés. Un tel programme aura d’ailleurs les faveurs d’économistes tout à fait éminents, y compris dans le monde anglo-saxon, tels Joseph Stiglitz et Paul Krugman.

Un tel engagement permettra à la gauche de dépasser un discours keynésien que l’état des comptes ne permet plus de financer. Il ne s’agit pas seulement de coordonner le redressement des finances publiques en Europe en assurant un minimum de dépense pour soutenir le marché intérieur, mais bien de remettre l’Europe aux commandes de sa politique industrielle.

Ce chantier est d’autant plus prioritaire qu’il répond à deux grands enjeux de la prochaine décennie: d’une part prendre le tournant de l’économie verte, ce qui suppose d’investir massivement dans des secteurs comme l’énergie, les biotechnologies ou les transports et, d’autre part, pallier la réduction des capacités des institutions financières à soutenir l’économie. Les banques vont en effet voir leur cadre prudentiel renforcé pour limiter les risques d’une nouvelle crise financière, ce qui aura pour effet secondaire de limiter leur encours de prêts. Même chose en pire pour les assureurs, menacé dans leur capacité à financer le long terme, sauf si la directive Solvabilité 2 venait à être rectifiée dans le cadre du débat sur la croissance en Europe. Des liquidités publiques seront donc plus que jamais nécessaires pour financer des entreprises prometteuses.

Là encore, la gauche devra se prémunir contre les caricatures en précisant que l’objectif n’est pas de revenir à l’économie administrée, mais de s’inspirer d’une méthode qui a fait ses preuves dans des grands projets comme Airbus. Les investissements réalisés avec des financements européens pourraient notamment être soumis à l’accord d’un comité indépendant installé à la Banque Européenne d’Investissement.

Si ce message est articulé avec force, il ne manquera pas d’inspirer nos voisins européens, de rassurer les prêteurs et de convaincre les électeurs.