Les Eclaireurs, sur les pas des Gracques 
et des Arvernes en vue de 2017

Article paru le 17 mars 2015 sur l’Opinion.fr

Les faits – Les tribunes de collectifs anonymes se multiplient. En 2007, les Gracques, étiquetés au centre gauche, avaient perturbé la campagne de Ségolène Royal. En 2012, les Arvernes sont nés à la suite de la défaite de la droite. Et voici les Eclaireurs. Très critiques sur le pouvoir du politique, ces groupes ont-ils vraiment une influence ?

La technique de la tribune anonyme n’est pas nouvelle. Le cardinal de Richelieu lui-même y avait souvent recours, signant sous des noms d’emprunt des articles favorables à sa politique ou préparant les Français aux réformes à venir. Depuis quelques années, elle est redevenue à la mode. Lors de la présidentielle de 2007 sont apparues celles des Gracques. En 2012, ce furent celles des Arvernes. Voici, dans la perspective de 2017, celles des Eclaireurs.

Ces collectifs naissent souvent de manière désordonnée. A l’image des Arvernes, dont la première réunion s’était tenue sur un coin de table, un soir d’été 2012, dans un café de Saint-Michel. On y trouvait d’ex-membres de cabinets de la droite vaincue, des avocats et même des journalistes. Pas de nom, aucune organisation, mais la volonté de dire enfin les choses publiquement après avoir eu le sentiment d’être étouffé par ses chefs lorsque ces derniers étaient ministres ou directeurs d’administration centrale. « Croyez-moi, si Sarkozy avait correctement fait son travail, je ne serais pas obligé de passer une partie du mien à rédiger des tribunes pour essayer de faire bouger les choses, s’agace aujourd’hui l’un d’eux. Notre apparition est un tragique constat d’échec prouvant l’affaiblissement structurel du pouvoir politique à cours d’idée, incapable d’influencer l’opinion, dépassé par une société civile symbolisée par des hauts fonctionnaires ayant plus de convictions que les élus. »

Les Arvernes ont été inspirés par le succès du collectif de gauche, les Gracques, qui avait perturbé la campagne de Ségolène Royal en 2007. A l’époque, ils avaient eu un bel écho médiatique, car l’identité de certains de ses membres avait fuité dans la presse. On y retrouvait quelques figures importantes du monde économique estampillées à gauche – Bernard Spitz, François Villeroy de Galhau ou Denis Olivennes – mais aussi Jean-Pierre Jouyet, le meilleur ami du couple Royal-Hollande. Cela avait été perçu comme le signe que le premier secrétaire du PS d’alors ne soutenait pas la ligne de sa compagne. Depuis, François Hollande est à l’Elysée. Très critiques sur les débuts du quinquennat, les Gracques se disent désormais satisfaits de « l’option réformiste retenue ».

Jean-Pierre Jouyet est, lui, devenu secrétaire général de la Présidence. « Il n’est pas le seul Gracque dans une fonction éminente, dit Bernard Spitz. Il est dans une prudente réserve. »

18 juin (sic) 2008 : un groupe d’officiers généraux et supérieurs des trois armées, baptisé Surcouf, publie un texte au vitriol dans Le Figaro contre la Loi de programmation militaire présentée par Nicolas Sarkozy. Il fait l’effet d’une bombe dans les milieux de la défense – et chez Dassault qui n’était pas dans la boucle. Le 22 février 2011, un groupe de diplomates, sous le pseudonyme de Marly, signe une tribune dans Le Monde pour fustiger la diplomatie du même chef de l’Etat. Même si un autre, le Rostand, leur répondra, il aura moins d’impact…

Tous ces collectifs ont en tête un précédent. Alors que la dépression née du Krach de 1929 frappe aux portes de la France, la revue interne de l’Ecole Polytechnique publie, le 25 août 1931, la tribune d’un de ses élèves appelant à une « réflexion sur le monde présent ». Des membres de l’école, souvent anonymes, rejoignent ce groupe, « X crise », appelant à une reprise en main du pays par la technocratie. Cela donnera naissance à un think tank officiel, le CPEE.

« C’est typique de la culture technocratique française, héritière d’une forte tradition administrative et centralisée, mais cela s’est accéléré ces dernières années, notamment parce que les changements de majorité laissent désormais sur le carreau plus de fonctionnaires. Ceux-ci ont donc enfin un peu le temps de réfléchir », avance un ex-membre de cabinet. « Les Gracques seront présents dans la campagne de 2017 », promet déjà Bernard Spitz. Les Arvernes aussi. Et les Eclaireurs comptent bien faire de même.

Par Cyrille Lachèvre et Ludovic Vigogne