Le programme des Gracques passe dès le premier tour

Dans « Ce qui ne peut plus durer », les Gracques dénonçaient les paradoxes de l’actuelle politique du logement. Etrange politique en effet, qui consiste à soutenir la demande par une aide à l’épargne et à l’endettement des acheteurs, dont l’écot finit toujours dans la poche… du vendeur. Nous préconisions de cesser d’alimenter ainsi la rente foncière des propriétaires, en privilégiant un choc d’offre – par la construction de logements neufs et une meilleure occupation du parc existant -, seul à même de tirer les prix immobiliers vers le bas et de rendre le logement à nouveau abordable pour tous.

Peut-être les Gracques ont-ils été élus par le Président de la République, dont les annonces sur le logement – qui contredisent la ligne adoptée depuis cinq ans par la défiscalisation des intérêts d’emprunt, le PTZ, le PTZ+… – rappellent les bonnes feuilles que nous vous livrons ci-dessous…

Petit retour en arrière sur les mesures décrites dimanche soir par le chef de l’Etat:

1°) Le relèvement, pendant trois ans, du coefficient d’occupation des sols de 30%, c’est-à-dire la possibilité pour « tout terrain, toute maison, tout immeuble » de voir « sa construction augmenter de 30% » (en surface imagine-t-on). Voilà une sage décision, qui fait écho à ce que nous proposions déjà en septembre dernier. Le chapitre 10 de « Ce qui ne peut plus durer » faisait l’apologie d’un
assouplissement des règles d’urbanisme, permettant une densification de l’habitat, notamment par un allègement des règles encadrant la hauteur des immeubles. Nous proposions ainsi d’autoriser toutes les copropriétés en zone de tension d’ajouter un
étage à leurs immeubles…

2°) La libération immédiate de terrains appartenant à l’Etat. Loin de revendiquer la paternité de ce qui n’est in fine qu’un peu de bon sens, nous rappellerons seulement que l’idée de faire de place pour construire était centrale dans notre livre. Nous insistions notamment sur la libération de friches ferroviaires ou industrielles détenues par des grands opérateurs détenus par l’Etat
(SCNF, RFF, RATP, EDF…) et souvent situées au cœur même de grandes villes où le foncier manque.
Et quid du programme de François Hollande ? On retrouve parmi les propositions socialistes une modération des loyers et un durcissement de l’application des quotas SRU, que les Gracques abordaient également, mais également quelques similitudes avec
les mesures annoncées par le chef de l’Etat, notamment sur la mise à disposition du foncier public pour la construction d’habitations. L’un aurait-il inspiré l’autre ? L’autre aurait-il copié l’un ? Les Gracques préfèrent voir dans le consensus la marque des réelles bonnes idées, et l’espoir d’un retour prochain à la cohérence en matière de logement.

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« Depuis le milieu des années 2000, les Français consacrent en moyenne un quart de leur budget à leur logement et à son fonctionnement énergétique (chauffage, éclairage). Cette part n’était que de 16% en 1960. 10% du revenu individuel disponible a été donc capté, en 50 ans, par ce seul poste de dépenses, soit l’équivalent en termes de pouvoir d’achat de l’ensemble des hausses d’impôts depuis 1970. Des hausses concentrées d’ailleurs sur les locataires et les accédants, dont les plus favorisés sont donc exemptés.

Ceci exclut d’emblée une part de la population de l’accès à un logement décent. Dans son rapport annuel de 2010, la fondation Abbé Pierre dénombrait 3.5 millions de mal-logés et 6.5 millions de personnes en état de « fragilité », pouvant basculer dans la première catégorie. Au-delà de la situation des plus exclus, le prix du logement présente un enjeu de redistribution et de confort de vie des classes moyennes. Et les prix au mètre carré les plus élevés, à la location comme à l’achat, sont pour les appartements de petite taille, occupés par les plus modestes.

La formation d’un prix repose principalement sur l’offre et la demande. La demande de logement a explosé en deux générations sous l’effet de deux facteurs, l’augmentation globale de la population d’une part, et la réduction de la taille moyenne des foyers d’autre part (divorces, femmes isolées…). L’offre, elle, n’a pas connu de croissance naturelle comparable. En France, les prix moyens à l’achat ont ainsi doublé entre 2001 et 2011, un phénomène spécifiquement français. Or la réponse des gouvernements successifs dans ce domaine a été d’accroître les aides, notamment à l’achat, pour soutenir les ménages face à l’envol des prix. C’est la logique de (feu) la défiscalisation des intérêts d’emprunt ou du nouveau prêt à taux zéro. Mais  c’était verser de l’huile sur le feu : cette stratégie a alimenté la spirale ascendante des prix. Elle est par ailleurs dangereuse dans la mesure où elle incite les ménages à un très fort endettement ; et profondément inégalitaire puisqu’elle injecte de l’argent public qui bénéficie in fine aux propriétaires vendeurs.

Il est donc globalement temps de réfléchir au bien-fondé de la politique actuelle du « tous propriétaires ». L’accession à la propriété correspond à des aspirations légitimes de sécurité et d’épargne. Mais il faut, d’une part, cesser de pousser les foyers modestes dans le piège de l’achat d’une résidence dont ils ne peuvent assumer le paiement; et d’autre part dégonfler la bulle existante pour revenir à un juste prix de l’habitat. Le plus important, c’est de rééquilibrer le marché, c’est à dire de créer les conditions d’un choc d’offre brutal sur le marché du logement. Ce n’est pas une politique de la demande, et moins encore une politique de répartition de la pénurie, qui réglera un problème d’abord lié à l’insuffisance de l’offre, notamment en zone tendue. Sortir de la pénurie, c’est améliorer le taux de remplissage du parc existant, mais c’est surtout multiplier la construction de logements neufs, et pas n’importe où. Là où les gens ont besoin d’être, c’est-à-dire dans les grandes agglomérations et pas dans les quelques endroits excentrés où les promoteurs arrivent à construire des « Scellier » à bon marché, sans s’occuper de savoir si les investisseurs pourront trouver des locataires. Et pas à n’importe quel prix : à des coûts maitrisés, sans être plombés par des normes de construction absurdes, par exemple deux parking par logement, qui semblent écrites pour rendre impossible la construction. Et c’est aller plus vite pour donner des permis de construire, et décourager les recours qui ne participent souvent qu’à un racket dilatoire.

Notre administration a le génie d’interminables procédures bureaucratiques et de rentes du type de celle des architectes des bâtiments de France, qui allongent les délais moyens de construction de façon insupportable et découragent nos concitoyens.
Mais elle sait aussi aller vite, quand il s’agit de mobiliser pour de grandes causes; quand il faut construire en quelques mois pour les JO d’Albertville, ou pour créer de grandes infrastructures (TGV, autoroutes, énergie) on sait le faire. Or aujourd’hui, les Français ont besoin qu’on construise des logements en nombre suffisant pour en faire baisser les prix. Appliquons donc ce que nous savons faire, en créant des guichets uniques autour d’échelons déconcentrés, dirigés par des préfets du logement, dont le rôle ne sera plus d’instruire ou de refuser des permis de construire, mais de trouver des solutions pour qu’il s’en construise plus et plus vite.

On peut d’abord libérer de la place pour construire de nouveaux logements dans les zones de forte pression démographique. D’importantes marges de constructibilité existent, en raison des grandes réserves foncières accumulées par certains opérateurs publics (SNCF, RFF, RATP, EDF), et privés (Renault, PSA etc…). Il faut les utiliser sans tarder, en incitant ces groupes à les libérer au plus vite. Les anciennes gares de triage, les sites de production électrique désaffectés sont légions dans les agglomérations, souvent en centre-ville. De très grands sites pourraient être libérés à brève échéance pour construire des logements.

La SNCF et RFF se sont déjà engagées dans cette voie : RFF a identifié 4 000 hectares de terrains cessibles. La SNCF a prévu, de son côté, de libérer de quoi construire cinq à six mille logements d’ici fin 2012. Certaines zones, comme le 16ème arrondissement à Paris sont insuffisamment denses : selon Jean-Marie Le Guen, 2 000 logements supplémentaires pourraient être édifiés sur les simples contre-allées… de l’avenue Foch. C’est un excellent exemple. En fait le manque de foncier n’est qu’un prétexte qui cache une réalité plus profonde : celle d’une règlementation tatillonne, souvent absurde, qui ne sert qu’à permettre de rester entre soi à ceux qui sont déjà inclus. Il y a du foncier ; s’il ne se libère pas, c’est parce qu’on veut laisser les barbares aux portes de la ville.

Par ailleurs, qui ne peut pas construire en largeur peut toujours construire en hauteur. Sans faire de Paris ou de Marseille de nouveaux Manhattan, nous proposons d’adapter la taille des bâtiments pour ajouter une « couche » supplémentaire à la
surface habitable. Selon une étude-test menée sur douze rues parisiennes, un surhaussement des immeubles permettrait de gagner 466 000 m2 sur ces seules artères moyennes. Soit près de 10 000  logements, seulement sur douze rues. Projeté à la taille de Paris, donner aux copropriétés le droit de construire un étage de plus, en le décidant à la majorité simple et nonobstant toute disposition
contraire, cela bouleverserait l’économie du logement. Il n’y a même pas besoin d’argent public, la valeur de la rente foncière est telle que les copropriétés pourraient financer aisément les travaux ; dans certains secteurs, on pourrait même envisager de réserver le bénéfice de cet étage supplémentaire au logement intermédiaire. Seules quelques adaptations aux règlements d’urbanisme sont
nécessaires : il suffirait, dans une majorité de cas, d’amender les articles des plans locaux d’urbanisme régissant la hauteur limite des bâtiments, notamment par rapport aux rues qui les bordent.

A Paris par exemple, seules quelques axes (la perspective des champs Elysées par exemple) et trois zones (le Marais, le 7ème arrondissement et le jardin du Luxembourg) bénéficient d’une protection juridique particulière du point de vue de la hauteur des constructions ; dans les autres quartiers des articles du PLU et un « plan des hauteurs » définissent respectivement les grandeurs relatives et absolues maximales des immeubles. Il est aisé de les modifier, même si cela ne plaira pas à ceux qui veulent rester entre soi.

Outre la construction, une meilleure utilisation des espaces existants permettrait d’enrichir l’offre de logements. L’INSEE dénombrait fin 2010 plus de 2 millions de logements individuels et collectifs vacants. Une part substantielle de ces logements
n’est pas inoccupée sans raison : il peut s’agir de logements en cours de vente, en attente de règlement de succession, ou de logements de fonctions en attente d’attribution ; une autre part de ces habitations est vide parce qu’insalubre. Mais si seulement 10% de ces logements sont habitables, la réintroduction soudaine de 200 000 logements sur le marché correspondrait à près de 50% des logements construits en un an.

Les logements sociaux ne doivent pas être en reste. En ce qui concerne la construction, le problème est largement affaire de courage politique et de positionnement institutionnel. La loi SRU, dont le fameux article 55 impose aux communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en région parisienne) de se doter de 20% de logements sociaux, fait l’objet d’un bilan pour le moins décevant. Depuis l’adoption de la loi en 2000, près de la moitié des communes assujetties  (de l’ordre de 400 pour environ 800 villes concernées) n’ont construit aucun logement social.

Tout montre en réalité que la commune n’est pas le bon échelon de pilotage de la loi SRU : les besoins de construction de logements sociaux doivent s’apprécier à plus grande échelle, sur un bassin de vie et d’activité ; et la réalisation de programmes HLM est tellement politique qu’elle est dominée par la vision électoraliste des maires. Pour reprendre la main sur cette politique stratégique, une solution pourrait consister à généraliser le transfert de la compétence et des obligations en matière de logement social aux intercommunalités, dont les territoires sont plus vastes et les décisions moins politiques, en donnant aux préfets des objectifs de
respect de la loi SRU pour les inciter à se substituer aux collectivités inactives en la matière. Notons qu’ils ont déjà le pouvoir de faire,  mais qu’ils s’en abstiennent prudemment pour ne pas se brouiller avec des élus locaux influents.
Une reprise en main par l’Etat de la gestion du parc semble aussi nécessaire. Le quotidien Le Parisien avait révélé en septembre 2010, que le taux de vacance de logement de certains bailleurs sociaux pouvait atteindre 10% et estimait le nombre total d’appartements HLM non attribués à 20 000 ou 25 000 sur l’ensemble du territoire. A l’ « absence d’attribution » il faut évidemment ajouter les « mal-attributions », fruit du clientélisme électoral  . Pour combattre ce mal, qui touche directement les 700 000 familles en attente de logements sociaux, nous proposons  de confier l’attribution de ces logements à des commissions locales indépendantes, présidées par des magistrats.

On ne peut pas renoncer à la France des propriétaires sans, corrélativement, se soucier de la hausse du prix des loyers, systématiquement supérieure à l’inflation durant les dernières années. De ce point de vue, le marché français est déjà très
réglementé : les loyers sont difficilement révisables en cours de bail, même si les propriétaires conservent la possibilité de faire tous les ajustements souhaités entre deux locataires. Par ailleurs, il faut évidemment s’abstenir de trop réguler ce marché pour ne pas dissuader les propriétaires de louer.

Mais quelques ajustements doivent être envisagés pour les plus petites surfaces, cible de choix des marchands de sommeil. Sur les petits appartements, le taux de rotation est particulièrement important : les étudiants ne le restent pas toute leur vie, les couples font des enfants, et les locataires de passage changent de ville. Cela permet aux propriétaires un ajustement beaucoup plus régulier des loyers, et donc une flambée des prix plus rapide sur ce segment de marché. Au moins pendant une période intermédiaire, le temps que le choc d’offre fasse son effet, un plafonnement des loyers à la relocation pourrait être envisagé. »