Comment faire beaucoup mieux en matière de transports sans peser sur nos finances publiques

Résumé : Avant de mettre en place des taxations supplémentaires éco-responsables supposées modifier les comportements, avant d’imaginer les nouvelles pratiques de la mobilité du futur avec les NTIC, et ou des projets industriels ambitieux et de construire de nouvelles lignes à grande vitesse, on peut revenir aux fondamentaux et à des moyens efficaces de développer des transports en commun pertinents. Nous proposons les bases d’un modèle de mobilité fondé sur la réalité des besoins et du pouvoir d’achat de nos co-citoyens en réalisant des réformes législatives et réglementaires simples ayant pour conséquences d’une part le développement du transport intérieur par autocar en développant des bus « Greyhound » à la française, d’autre part en réformant les ambulances parce qu’une mobilité durable, ce n’est pas seulement pour les biens portants, mais c’est aussi pour les malades et nos plus âgés, pour le respect de leur personne et de leur dignité, et enfin le développement de la petite remise en mettant un terme à la politique systématique d’extinction qu’elle a du subir au profit du renforcement du monopole des taxis.

Route-Davedehetre

Le transport en commun est au cœur du développement durable, il en représente les enjeux les plus concrets. Mais il est plus que cela, il est une pierre angulaire de la cohésion sociale, de la structuration d’un espace public de qualité, et de la possibilité offerte à chacun de se mouvoir librement dans la société pour y œuvrer et y réaliser ses aspirations.

Notre politique de transport en commun ne peut qu’être ambitieuse. Elle se doit de parvenir à allier le souci d’une mobilité durable, et les aspirations légitimes de chacun à une mobilité adaptée à ses besoins et ses envies.

Il est possible d’aller dans le sens d’une désappropriation des moyens individuels de transport, qui est de plus en en plus présente dans nos villes avec le développement des vélos ou des voitures en partage et accès libres. Il est même possible d’imaginer que l’achat d’une voiture individuelle ne soit plus une nécessité, et devienne complètement inutile, y compris pour ceux d’entre nous qui habitent dans les zones rurales ou semi-rurales. Il en va du respect de l’environnement, de nos villes, de nos espaces publics, mais surtout de nos jeunes, de nos personnes âgées, de tous ceux qui ne peuvent se permettre d’acheter une voiture.

1. Pour des bus Greyhound à la française : le développement du transport intérieur par autocar

Contrairement à la quasi-totalité des pays européens, du fait de l’article 29 de la LOTI (loi d’orientations des transports intérieurs), une législation très contraignante, le transport intérieur par autocar sur des liaisons régulières de longue distance n’existe quasiment pas en France.

En décembre 2009, la loi relative à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires a légèrement amendé la LOTI en ajoutant un article 29-1 permettant le cabotage des lignes internationales. L’Etat peut ainsi autoriser, pour une durée déterminée, les entreprises de transport public routier de personnes à assurer des dessertes intérieures régulières d’intérêt national, à l’occasion d’un service régulier de transport routier international de voyageurs, à condition que l’objet principal de ce service soit le transport de voyageurs entre des arrêts situés dans des Etats différents. L’Etat peut limiter ou, le cas échéant, interdire ces dessertes intérieures si la condition précitée n’est pas remplie ou si leur existence compromet l’équilibre économique d’un contrat de service public de transport de personnes. Il peut être saisi à cette fin par une collectivité intéressée.

On pourrait aujourd’hui aller plus loin en soumettant à un simple régime de déclaration les entreprises de transport routier de personnes qui souhaitent assurer des dessertes intérieures régulières d’intérêt national en dehors des lignes internationales.

De nombreuses lignes ne sont en effet pas ou peu desservies par la SNCF comme Nantes-Lyon, Lille-Strasbourg, Nantes-Poitier ou encore Nantes-Bordeaux-Toulouse. La SNCF n’a pas à se sentir menacée par ce développement alors que ses trains interrégionaux lui ont couté un déficit de 70 millions l’an dernier. Son assise n’est de toute façon pas menacée, à preuve dans les pays d’Europe où ces bus longue distance existent déjà, ces derniers représentent un marché de niche ayant acquis entre 1 % et 11 % du marché de transport de voyageurs. Ces autocars sont de véritables alternatives à la route pour des lignes transversales entre métropoles régionales ou pour d’autres liaisons spécifiques aujourd’hui mal assurées (villes moyennes, campus universitaires régionaux par exemple). Les liaisons en autocar ont du sens là où la SNCF n’est pas en mesure d’assurer un service correct. L’efficacité socio-économique et écologique de l’autocar par rapport au mode ferroviaire se démontre au cas par cas, compte tenu des effets possibles sur la consistance du réseau et sur l’optimisation des financements publics.

L’utilisation des autocars est également plus rationnelle du point de vue écologique puisqu’elle se substitue à l’usage de la voiture pour des origines-destinations qu’aucun transport public n’assure aujourd’hui, et permet surtout de libérer des sillons de fret en évitant de faire circuler des TER quasi-vides. L’adoption du régime de déclaration permettrait ainsi le développement de l’offre de transport public avec une véritable alternative à la voiture sur certains trajets et donc un moindre coût pour ces déplacements, d’améliorer la mobilité entre certaines parties du territoire, et de créer des emplois pour le développement de ces nouvelles lignes, sans investissement public. Il s’agit d’une mobilité mixte en totale complémentarité avec le ferroviaire. On pourrait même aller plus loin en exigeant l’usage de bus hybrides pour l’exploitation de ses lignes, ce qui les rendrait écologiquement encore plus vertueuses.

On pourrait ainsi proposer un amendement de l’article 29-1 de la LOTI qui préciserait « L’Etat autorise sur déclaration, les entreprises de transport routier de personnes à assurer des dessertes intérieures régulières d’intérêt national. L’Etat peut limiter ou, le cas échéant, interdire ces dessertes intérieures si leur existence compromet l’équilibre économique d’un contrat de service public de transport de personnes. Il peut être saisi à cette fin par une collectivité intéressée. »

Il s’agit ici de respecter l’environnement, et tous ceux d’entre nous qui ont besoin des transports collectifs.

Il faut en effet souligner la grande modernité du transport par autocar et ses avantages collectifs, notamment en termes environnementaux grâce à l’application des normes européennes. L’absence de lignes routières nationales peut sembler en décalage avec la qualité du réseau routier et autoroutier français. Il est important de développer une offre complémentaire ou alternative pour permettre de mieux se déplacer sur le territoire national. Ces services seraient exploités aux risques et périls de l’opérateur, ce qui serait neutre pour les finances publiques. La mise en place de ces lignes pourrait permettre, comme dans de nombreux pays européens, d’offrir des services différents ou complémentaires de ceux actuellement offerts par le train. Cette diversification de l’offre contribuerait à une mise en œuvre plus dynamique et diversifiée du droit du transport et pourrait constituer un élément de réponse aux tensions pesant actuellement sur le pouvoir d’achat, sans que ces contrats ne portent atteinte à l’équilibre économique des services publics effectués par chemin de fer.

Les mesures annoncées par Thierry Mariani, ministre chargé des transports, au cours de ce mois de septembre ne changent rien au système en place. Il s’agit d’ouvrir près de 230 nouvelles dessertes interrégionales de transport routier de voyageurs, mais toujours dans le cadre de lignes internationales. Ainsi un autocar partant de Paris pour se rendre à Lisbonne pourra embarquer et débarquer des passager à Poitiers, Niort et Bordeaux, points d’arrêt de la ligne internationale uniquement à condition que le nombre de passagers nationaux transportés représente moins de la moitié du nombre total de passagers transportés dans le cadre du service international. En réalité, ces nouvelles mesures restreignent encore l’accès à de nouveaux services de transport à des conditions tarifaires avantageuses.

2. Pour une réforme des ambulances

A titre préliminaire et avant tout débat sur les ambulances, il faut souligner que le recours aux ambulances doit être beaucoup plus limité, et beaucoup plus encadré. En réalité quelle proportion des gens qui prennent des ambulances ont réellement besoin de soins médicaux tels que sont censés en apporter les ambulanciers ? Entre 1997 et 2006, les remboursements affectés aux transports sanitaires – ambulances, véhicules sanitaires légers (VSL) et taxis – ont augmenté chaque année de 8 à 10 %, pour atteindre un budget de 2,2 milliards d’euros. En 2007, le montant remboursé par l’assurance-maladie n’a progressé que de 5,7 %, contre 9 % l’année précédente, ce qui représente une économie de 24 millions d’euros. Mais il reste encore de la marge, et la réduction du recours aux ambulances est une évolution nécessaire avant de procéder à une réforme de fond du système ambulanciers. Une mobilité durable, ce n’est en effet pas seulement pour les biens portants, mais aussi pour les malades, pour le respect de leur personne et de leur dignité.

Le système ambulancier français est aujourd’hui en pleine déliquescence. Il n’est pas à la hauteur de celui des autres pays européens, il n’est pas à la hauteur de ce que l’on attend de lui aujourd’hui en France. Dans le cadre d’une réduction des dépenses de santé efficace pour sauver notre sécurité sociale, le développement de l’hospitalisation à domicile est un objectif. Disposer d’un système d’ambulances fiable et de qualité est la condition du développement des hospitalisations à domicile, de l’externalisation des pôles hospitaliers des centres villes et donc un des éléments forts d’économies pour sauver notre système de santé. Mais pour ce faire il faut absolument réformer nos ambulances.

Il est urgent d’agir, aujourd’hui trop de scandales secouent notre système ambulancier, les accidents et les négligences ont été trop nombreux. Le métier d’ambulancier est considéré comme un métier de transporteur, et non comme un métier paramédical. Les ambulanciers ne reçoivent qu’une formation de courte durée, la licence étant accordée aux véhicules et non aux conducteurs, en fonction de critères démographiques. Le diplôme d’Etat d’ambulancier est une formation trop légère qui ne requiert aucun diplôme pour pouvoir s’y inscrire. Il n’existe aucune obligation de formation professionnelle continue ou de mise à jour alors que les sapeurs pompiers, par exemple, doivent suivre  une obligation de formation professionnelle annuelle obligatoire. La demande d’agrément n’exige que des renseignements écrits sur les véhicules comme les certificats d’immatriculation ou la liste du matériel embarqué. Aucun contrôle par les services des affaires sanitaires et sociales du matériel n’est exigé. Quant à l’autorisation de mise en service, elle n’est liée qu’à l’évaluation numérique des besoins sanitaires de la population départementale et à aucune autre considération comme la qualité des prestations et services rendus.

Il faut, comme aux Pays-Bas, comme en Angleterre, comme en Allemagne, réformer nos ambulances pour exiger des efforts sur la qualité des services, sur la formation ambulanciers, des efforts sur les prix des prestations, exiger le développement de label de qualité pour contraindre les ambulanciers à fournir de bonnes prestations. Aujourd’hui, les centres de soins palliatifs eux-mêmes peinent à trouver des ambulances sûres et équipées de coques pour leurs patients en fin de vie. Il est donc urgent d’agir parce que lorsque les plus faibles sont confrontés à des difficultés de transport sanitaire, il est souvent trop tard et n’ont plus le choix de leur ambulance. Parce que le secteur des ambulances constitue un secteur économique en pleine croissance, du fait du vieillissement de la population, il faut que notre Etat se donne les moyens de réorganiser ce secteur, pour être exigeant, et ne plus continuer à rembourser au prix fort des prestations qui ne sont pas respectueuses de nos plus fragiles et de nos anciens. En somme, il faut beaucoup moins d’ambulances, mais beaucoup plus adaptées et de meilleure qualité.

3. Pour le développement de la petite remise

La question des taxis est, surtout à Paris, un débat récurrent. Déjà en 1960, dans le célèbre rapport du comité Rueff-Armand sur les « obstacles à l’expansion économique », Jacques Rueff avait choisi la régulation des taxis parisiens comme l’une de ses dix études de cas pour en dénoncer les effets pervers. On ne cesse fournir des comparaisons avec d’autres métropoles, mais toutes ces comparaisons sont très superficielles. Elle néglige l’importance du secteur de la petite remise et le rôle qu’elle joue dans la mobilité des pauvres et dans l’intégration des quartiers déshérités. Les voitures de petite remise sont des voitures qui offrent le même service que les taxis, à cela près qu’elles ne peuvent répondre qu’à des commandes passées par téléphone, ne peuvent pas être hélées dans la rue, et couvrent essentiellement les quartiers excentrés. En région parisienne, la petite remise est quasi inexistante. Alors qu’à Londres et à New York, elle s’est rapidement développée, à Paris et dans les grandes villes françaises, elle a fait l’objet d’une politique systématique d’extinction au profit du monopole des taxis.

Le développement de la petite remise peut jouer un rôle clef dans la mobilité des ménages pauvres et non-motorisés, ou l’intégration des habitants des quartiers déshérités. Le chiffre si bas de véhicule de petite remise ne tient pas au manque d’esprit d’entreprise de nos concitoyens mais au fait qu’en France, les demandes d’autorisation pour des voitures de petite remise doivent passer devant la même commission que les demandes pour les taxis. Dans ces commissions, le poids des représentants des taxis est prépondérant, et les préfets qui président ces commissions ont reçu l’instruction de décourager le développement de la petite remise. Cette politique a conduit au déclin de la petite remise alors qu’à Londres ou à New-York, en revanche, les services chargés de la régulation des taxis ont favorisé le développement de la petite remise en dépit des protestations du lobby des taxis. Ainsi contrairement aux idées reçues, là ou les parisiens n’ont que 15.000 taxis pour répondre à leur demande de déplacements, les new-yorkais ont 13.000 taxis et 42.000 voitures de petite remise, les londoniens ont 20.000 taxis et 50.000 voitures de petite remise. Alors qu’il n’y a que 94 voitures de petite remise dans toute la région parisienne et leur nombre diminue d’année en année.

Contrairement aux taxis qui sont utilisés par les ménages les plus aisés et motorisés, les véhicules de petite remise sont utilisés par les ménages les plus modestes ou non-motorisés pour effectuer des déplacements que les transports collectifs rendent malcommodes comme les courses, les affaires personnelles, les visites chez des amis ou l’accompagnement d’enfants à l’école, ou encore des visites chez le médecin ou à l’hôpital. En Angleterre ou en Suède, les services sociaux ont l’habitude de prendre des abonnements auprès des véhicules de petite remise et ainsi de négocier les prix.

L’étouffement de la petite remise est une grave erreur car le développement de la petite remise outre son impact sur la mobilité offre un grand potentiel de développement des emplois, principalement dans les zones défavorisées. On estime que le secteur emploie directement ou indirectement plus de 80.000 personnes à Londres. Il s’agit là d’emplois nombreux et durables qui ne sont pas financés par le contribuable.

Les impacts de la restriction de la petite remise ont déjà été très préjudiciables. D’abord, interdire l’accès des plus modestes aux services de taxis contribue à l’enclavement des quartiers et à la ségrégation. De plus l’absence d’alternative au transport collectif est, pour les ménages les plus modestes, une incitation de plus à se motoriser, généralement en achetant une voiture vieille et polluante, et qui, une fois achetée sera une incitation aux déplacements individuels. Enfin, quand il y a une demande, il ya une offre, celle des taxis pirates. Outre que la clandestinité a un coût élevé, elle contribue à maintenir des zones de non-droit et favorise la ghettoïsation.

Il en va du respect de nos banlieues, de nos quartiers excentrés et de ceux qui y vivent, nous devons développer la petite remise dans nos villes.

Les Gracques

Crédits photo (creative commons) : la photographie utilisée pour illustrer cet article a été prise par David DeHetre

Débat du 9 novembre: Charles Gave et Guillame Hannezo. Dette : la France peut-elle échapper à la crise ?

Venez écouter le débat des Gracques, le 9 nov- mebre à 19h15 en amphi Chapsal (Sciences Po, 27 rue St-Guillaume), entre Guillaume Hannezo et Charles Gave, en partenariat avec l’association Jeune République.

Que penser aujourd’hui de la crise européenne de la dette ? Faut-il croire les Cassandre qui annoncent la fin de la zone Euro ? Peut-on laisser la Grèce, l’Italie, l’Espagne faire faillite ? Et la France, pourra-t-elle faire défaut ?

Les Gracques ont pris déjà pris leur parti : l’Etat Français doit rester solvable. La viabilité de notre système économique et social en dépend. Il faudra donc apurer les comptes, réguler les marchés et voler au secours de nos voisins pour sauver l’Euro. Mais tout le monde n’est pas de cet avis : certains s’opposent à une hausse de la fiscalité, à une ingérence de l’Etat dans la finance, ou encore préconisent un démantèlement de la zone euro afin de permettre une relance par la dévaluation…

Joignez-vous à nous le 9 novembre à Sciences Po afin d’écouter les arguments des deux bords et de vous faire votre propre opinion !

Biographies de Chales Gave et de Guillaume Hannezo :

Diplômé des universités de Toulouse et de New York, Charles Gave est aujourd’hui analyste et chercheur en économie financière, et dirige trois entreprises de conseil et de placements établies à Hong-Kong (Gavekal Research, Gavekal Capital et Gavekal Securities). Il siège dans de nombreux conseils d’administration, dont celui de l’Institut Turgot, a correspondu de nombreuses années avec Milton Friedman, et a publié plusieurs ouvrages sur l’économie et la pensée libérale.

Guillaume Hannezo est membre fondateur des Gracques. Inspecteur des finances, il a commencé sa carrière comme conseiller technique de Pierre Bérégovoy, en charge des affaires européennes, puis comme conseiller économique de François Mitterrand.Il a ensuite été directeur financier de grandes entreprises (AGF, Générale des eaux-Vivendi) puis banquier d’affaires. Actuellement associé gérant de Rothschild et Cie, il est également membre du CA de Libération et de Terra Nova.

Pour un choc d’offre sur le marché du logement

Résumé : Le prix du logement devient écrasant pour de très nombreux ménages. Or la flambée des prix a été largement alimentée par les politiques successives de solvabilisation de la demande, qui ont subventionné les propriétaires vendeurs tout en poussant les classes moyennes à s’endetter lourdement. Afin de relâcher la pression sur les prix des logements, les Gracques proposent un choc d’offre immobilière.

Le prix du logement : trois problèmes en un 

Depuis le milieu des années 2000, les Français consacrent en moyenne un quart de leur budget à leur logementet à son fonctionnement énergétique (chauffage, éclairage). Cette part n’était que de 16% en 1960. 10% du revenu individuel disponible a été donc capté, en 50 ans, par ce seul poste de dépenses, soit l’équivalent en termes de pouvoir d’achat de l’ensemble des hausses d’impôts depuis 1970.

La hausse du prix des logements pose simultanément un véritable problème de justice sociale. D’abord, cette hausse des coûts exclut d’emblée une part de la population de l’accès au logement décent. Dans son rapport annuel de 2010, la fondation Abbé Pierre dénombrait 3.5 millions de mal-logés et 6.5 millions de personnes en état de « fragilité », susceptibles de basculer dans la première catégorie. La fondation imputait notamment cette fragilité au recul des « marges budgétaires » des Français, dont 15 millions jouent, selon le médiateur de la République, leurs fins de mois à 50 ou 150 euros près. Que les loyers (48% des Français du premier quintile de revenus étant locataires, contre seulement 18% dans le quintile le plus aisé) continuent d’augmenter au rythme moyen de 3.2% par an et ces familles seront prises à la gorge avant la fin de la prochaine législature.

Enfin, le prix du logement présente un enjeu de redistribution et de confort de vie des classes moyennes. L’augmentation des dépenses contraintes des ménages simplement modestes (jusqu’à 1750 euros/mois) a été deux fois supérieure, en proportion, à la hausse des dépenses contraintes des ménages aisés (9ème décile de revenu). Le député Jean-Marie Le Guen parle ainsi de « crise globale » en région parisienne, affectant le commun des familles. A la location comme l’achat, on relèvera également le caractère « régressif » du prix du mètre carré : les appartements de petite surface, majoritairement occupés par les moins fortunés, atteignent dans les grandes villes des prix prohibitifs lorsqu’on les rapporte à leur taille. Les grands appartements, s’ils sont plus onéreux en valeur absolue, font ainsi figure de bon rapport surface/prix pour leurs occupants.

Un nécessaire changement de paradigme

La formation d’un prix repose principalement sur l’offre et la demande. La demande de logement elle, a explosé en deux générations sous l’effet de deux facteurs : l’augmentation de globale la population d’une part, et la réduction de la taille moyenne des foyers d’autre part. Ce dernier phénomène qui s’expliquait, pour la génération précédente, par la généralisation du modèle de famille nucléaire (on ne vit plus sous le même toit que ses parents ou grands-parents), s’explique aujourd’hui par un éclatement des cellules familiales lié à l’augmentation du taux de divorce : lorsqu’un couple se sépare, il lui faut deux logements au lieu d’un.

L’offre, elle, n’a pas connu de croissance naturelle comparable. Si la France a beaucoup construit pour reconstruire durant les trente glorieuses, la raréfaction du foncier disponible dans les grandes agglomérations n’a pas permis de multiplier les logements neuf à la hauteur de la demande. S’en est suivi une hausse des prix sans précédent, que les spécialistes n’hésitent pas à qualifier de bulle immobilière. En France, les prix moyens à l’achat ont ainsi doublé entre 2001 et 2011.

Or la réponse des gouvernements successifs dans ce domaine a été d’accroître les aides, notamment à l’achat, pour soutenir les ménages face à l’envol des prix. C’est la logique de (feu) la défiscalisation des intérêts d’emprunt ou du nouveau prêt à taux zéro. Mais en solvabilisant la demande, nous avons versé de l’huile sur le feu : cette stratégie a évidemment alimenté la spirale ascendante des prix. Elle est par ailleurs dangereuse, dans la mesure où elle incite les ménages à un très fort endettement (l’enquête logement Insee de 2006 avait montré que 565 000 ménages propriétaires avaient rencontré des difficultés pour payer leurs charges ou remboursements de prêts immobilier) et profondément inégalitaire puisqu’elle injecte de l’argent public dans des opérations commerciales bénéficiant aux propriétaires vendeurs.

Pour un choc d’offre immobilière

Un gouvernement nouvellement élu pourrait trouver, dans une politique de logement intelligente, le moyen de rendre du pouvoir d’achat aux ménages tout en répondant à une forte préoccupation sociale. Parvenir à diminuer les dépenses moyennes de logement de 10% correspondrait à une hausse moyenne du pouvoir d’achat de 2.5%, soit l’équivalent de l’effort fiscal qui sera globalement demandé aux français pour rétablir l’équilibre des finances publiques.

En premier lieu, il faut mettre en place les conditions d’un choc d’offre sur le marché du logement. Deux moyens existent pour créer un tel choc, à la fois dans le parc privé et dans le parc social : multiplier la construction de logements neufs et améliorer le taux de remplissage du parc existant. 

Des solutions existent, d’abord, pour libérer la place de construire de nouveaux logements dans les zones de forte pression démographique. Le député Jean-Marie Le Guen a rappelé aux responsables du grand Paris que d’importantes marges de constructibilité existent, en raison de grandes réserves foncières accumulées notamment par certains opérateurs de l’Etat (SNCF, RFF, RATP, EDF). Les anciennes gares de triage, les sites de production électrique désaffectés sont effectivement légions dans les agglomérations, souvent en plein centre-ville. Sans mettre en péril le développement futur des transports en commun ou de l’approvisionnement énergétique, de très larges sites pourraient être libérés à brève échéance pour construire des logements. La SNCF et RFF se sont déjà engagées dans cette direction : RFF a identifié 4 000 hectares de terrains cessibles. La SNCF a prévu, de son côté, de libérer de quoi construire cinq à six mille logements d’ici fin 2012. Certaines zones, comme le 16ème arrondissement à Paris sont accessoirement insuffisamment denses : toujours selon Jean-Marie Le Guen, 2 000 logements supplémentaires pourraient être édifiés sur les simples contre-allées de l’avenue Foch. L’éternel prétexte du manque de foncier doit donc être remis en juste perspective.

Par ailleurs, qui ne peut pas construire en largeur peut toujours construire en hauteur. Sans faire de Paris ou de Marseille de nouveaux Manhattan, il est possible d’adapter la taille des bâtiments pour ajouter une « couche » supplémentaire à la surface habitable. Selon une étude-test menée sur douze rues parisiennes, un surhaussement des immeubles permettrait de gagner 466 000 m2 sur ces seules artères moyennes. Pour ce faire, seules quelques adaptations aux règlements d’urbanisme sont nécessaires : il suffirait, dans une majorité de cas, d’amender les articles des plans locaux d’urbanisme régissant la hauteur limite des bâtiments, notamment par rapport aux rues qui les bordent. A Paris par exemple, seules quelques axes (la perspective des champs Elysées par exemple) et trois zones (le Marais, le 7ème arrondissement et le jardin du Luxembourg) bénéficient d’une protection juridique particulière du point de vue de la hauteur des constructions ; partout ailleurs, des simples articles du PLU et un « plan des hauteurs » définissent respectivement les grandeurs relatives et absolues maximales des immeubles. Autoriser l’ensemble des copropriétés à rajouter, par dérogation à ces documents, un étage aux bâtiments permettrait d’améliorer sensiblement l’offre disponible. Un dispositif d’incitation financière, par exemple par une défiscalisation des travaux, permettrait de rendre attractif ce type d’opérations. Ces aménagements, s’ils sont correctement pensés, ne porteront nullement atteinte à la qualité de vie, les grandes villes s’étant, historiquement, toujours élevées sans pour autant que leur attrait diminue.

Outre la construction, une meilleure utilisation des espaces existants permettrait d’enrichir l’offre de logements. L’INSEE dénombrait fin 2010 plus de 2 millions de logements individuels et collectifs vacants. Une part substantielle de ces logements n’est pas inoccupée sans raison (il peut s’agir de logements en cours de vente, en attente de règlement de succession, ou de logements de fonctions en attente d’attribution) ; une autre part de ces habitations est vide parce qu’insalubre. Mais si seulement 10% de ces logements sont habitables, la réintroduction soudaine de 200 000 logements sur le marché correspondrait à près de 50% des logements construits en un an. Or pour optimiser la rotation du parc privé, il existait jusqu’en 1965 une imposition du « loyer fictif ». Une telle correction du revenu imposable, dont on pourrait exonérer la résidence principale, serait une incitation à ne pas laisser de logement secondaire vacant : se voir imposer sur un « loyer fictif » alors que l’habitation concernée est inoccupée fait évidemment réfléchir. Les Gracques proposent d’étudier la faisabilité d’une telle mesure.

Les logements sociaux ne doivent pas être en reste. En ce qui concerne la construction, le problème est largement affaire de courage politique et de positionnement institutionnel. La loi SRU, dont le fameux article 55 impose aux communes de plus de 3 500 habitants (1 500 en région parisienne) de se doter de 20% de logements sociaux, fait l’objet d’un bilan pour le moins décevant. Depuis l’adoption de la loi en 2000, près de la moitié des communes assujetties à la loi (de l’ordre de 400 pour environ 800 villes concernées) n’ont construit aucun logement social. Pour ce faire, les Gracques soutiennent l’idée, mise en avant par Martine Aubry, d’une quote-part obligatoire de logements sociaux et d’accessions à la propriété dans tous les nouveaux programmes de construction. Toutefois par souci de cohérence, il est préférable de limiter la quote-part minimale de logements sociaux à 20%, sous peine de défavoriser les communes qui respectent déjà la loi SRU (la quote-part d’un tiers proposée par la même Martine Aubry étant inadéquate de ce point de vue).

Rappelons enfin que les préfets ont d’ores et déjà le pouvoir de se substituer aux collectivités qui ne respectent pas la loi SRU : ils s’en abstiennent, notamment, pour ne pas se heurter à de puissants élus locaux dont l’aura à Paris dépasse souvent la leur. Un engagement du Président de la République nouvellement élu à soutenir systématiquement les préfets dans cette démarche serait une manifestation utile de sa volonté de bien loger les Français.

Fusion impôt sur le revenu / CSG : une fausse bonne idée ?

Après le débat qui entre Thomas Pikety et Michel Taly qui s’est tenu à Sciences Po le 21 septembre au soir (compte-rendu à venir), découvrez plus en détails la position des Gracques quant à la fusion IR / CSG au travers d’une note récapitulative. Cette note se propose en substance de montrer qu’aucune des trois promesses de cette réforme (le passage à la retenue à la source, l’élimination des niches fiscales et l’extension de la progressivité à la CSG) ne sera tenue.

La fusion entre l’Impôt sur le Revenu (IR) et la contribution sociale généralisée (CSG) est à la mode : mise en avant par l’ouvrage « Révolution fiscale » de Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez, elle est préconisée à la fois par le Parti Socialiste et certains responsables de l’UMP. Ce consensus transpartisan sur un sujet aussi clivant que l’impôt éveille le soupçon : la fusion IR/CSG n’est qu’une technique, pas un projet.

L’idée est en effet séduisante car elle permet d’atteindre simultanément trois objectifs : passer à la retenue à la source pour l’IR, se débarrasser d’un coup de toutes les niches qui mitent l’assiette de cet impôt et introduire de la progressivité dans la CSG.

Au fond, l’idée est qu’en faisant une réforme globale, on trouvera le courage de faire ce qu’on n’arrivait pas à faire séparément. Pour juger des chances de réussite d’un tel pari, il faut examiner séparément chacun de ces trois éléments :

1. Passer à la retenue à la source pour l’IR :

C’est un serpent de mer depuis des décennies. De nombreux gouvernements ont lancé des études face aux attraits d’une telle réforme (réduction du coût de gestion de l’impôt, simplicité, idées claires des ménages sur leur revenu réellement disponible) et ont renoncé au dernier moment en raison :

1) de la complexité de la transition la première année (schématiquement, il faut sauter une année car l’IR est actuellement calculé sur les revenus de l’année n-1 alors que la retenue à la source s’opère sur les revenus de l’année n. A tout le moins, il faut donc des dispositifs correcteurs pour tenir compte des évènements exceptionnels et des risques d’optimisation cette année-là) ;

2) des réticences en termes de « libertés publiques » face à la perspective de devoir donner à l’employeur des informations sur les autres revenus du ménage par l’indication du taux d’imposition de chacun de ses salariés pour effectuer la retenue à la source.

Il est illusoire de penser qu’il sera plus facile de passer à la retenue à la source à l’occasion d’une fusion entre IR et CSG, celle-ci présentant par ailleurs d’autres difficultés. Le seul bénéfice d’une réforme globale serait de décider le gouvernement à sauter le pas, alors que le rapport entre avantages et inconvénients est peu favorable pour un simple passage à la retenue à la source.

2. Supprimer toutes les niches de l’IR :

L’idée de la manœuvre est de prendre pour le nouvel impôt fusionné l’assiette de la CSG, qui est beaucoup plus large que celle de l’IR, naturellement plus étroite et par ailleurs criblée de niches. Le pari est donc que, pour une fois, la bonne assiette va chasser la mauvaise et non l’inverse.

La raison supposée du faible nombre de niches pour la CSG est que cet impôt est sanctuarisé par sa finalité, qui est la protection sociale. Dans le projet de fusion le plus consensuel, l’impôt fusionné resterait d’ailleurs destiné aux 2/3 à la protection sociale.

Une explication plus pessimiste de l’absence de niches pour la CSG est qu’elles sont techniquement impossibles dans une retenue à la source à taux unique sans régularisation annuelle. Sans la variable d’ajustement qu’est la régularisation (cette modification qui peut être opérée pour l’IR lors du paiement du dernier tiers), la seule possibilité est l’exonération totale ou le taux réduit pour une catégorie entière de l’assiette. La chirurgie fine est donc impossible.

Or le nouvel impôt progressif serait retenu à la source à un taux personnalisé et ferait, lui, l’objet d’une régularisation sur la base d’une déclaration. Il serait donc techniquement possible d’introduire dans un tel impôt toute les niches que l’on peut souhaiter. En conséquence, l’idée que la fusion des deux impôts augmentera la capacité de résister à la création des niches paraît un peu angélique.

En outre, le partage de la recette entre l’État et la protection sociale ne sera facile qu’à législation constante. Toute évolution de taux créera des litiges entre les deux bénéficiaires. Et en cas d’évolution de l’assiette, on aura deux possibilités : soit l’État compense la perte (et le coût de la niche sera pour lui trois fois plus élevé qu’avant), soit on accepte une divergence d’assiette que connaissent souvent les états fédéraux.

3. Rendre la CSG progressive :

Bien que, techniquement, la CSG soit un impôt, elle est perçue comme une cotisation sociale. Cela explique que la question de sa progressivité ne soit pas posée avec insistance. Au plan des principes, tant que le ménage n’est pas fait dans le financement de la protection sociale, entre prélèvement avec contrepartie et prélèvement sans contrepartie, on peut justifier un prélèvement proportionnel.

Dans un impôt fusionné la question ne se pose plus : le nouvel ensemble est forcément progressif. On a alors deux possibilités :

– Faire une première tranche au taux de 8%, correspondant au cumul des taux de CSG et de CRDS (avec une question subsidiaire: que faire des taux plus élevés sur les revenus d’épargne ?), jusqu’au seuil d’imposition de l’IR, puis superposer le taux de l’IR pour les revenus au-delà de ce seuil.  Un tel choix serait politiquement difficilement justifiable (« tout ça pour ça ! ») et constitutionnellement fragile (un IR peut-il ne pas avoir une tranche zéro jusqu’au minimum vital ? La Cour de Karlsruhe tend, en Allemagne, à dire que non).

– Mettre en place un impôt entièrement remodelé avec une tranche à taux zéro et des tranches inférieures à 8%. C’est l’hypothèse privilégiée par Thomas Piketty et les coauteurs de « La Révolution fiscale », dans un scénario censément à revenu constant. Mais dans un tel scénario, le potentiel d’augmentation des prélèvements sur les classes moyennes supérieures est utilisé et les niches fiscales sont supprimées : l’hypothèse Piketty épuise donc, dans la seule réforme de la fiscalité, l’ensemble des marges de manœuvres d’augmentation des recettes existantes. Or chacun sait, sans même parler de dépenses nouvelles, que l’objectif de retour à un déficit public annuel sous la barre de 3% du PIB nécessite d’augmenter les recettes fiscales.

La conclusion est claire : même pour ceux qui pensent qu’à terme, il faut introduire de la progressivité dans la CSG, le contexte budgétaire actuel est défavorable pour la mise en œuvre d’une telle réforme.

Pas d’illusion donc, la fusion des deux impôts, dès lors qu’elle ne peut pas être mise en œuvre rapidement, ne saurait un véritable sujet de campagne. Le vrai sujet est autre : quel profil souhaitons-nous pour l’impôt sur le revenu ? Quelles niches supprimer ou atténuer ? Comment régler le problème (que T.Piketty soulève avec raison mais en proposant de mauvaises solutions) des très hauts revenus ? Axer, par facilité, la thématique de l’imposition des revenus sur la fusion IR / CSG, c’est tomber dans un piège : celui de choisir une modalité avant de se décider sur le fond.

Fusion Impôt sur le revenu et CSG : débat le 21 septembre autour de Thomas Piketty et Michel Taly

Lorsqu’on demandait à Paul McCartney si, et quand il reformerait les Beatles, il répondait : « Pas tant que John Lennon sera mort ! ». Finalement, la fusion de l’impôt sur le revenu (IR) et la CSG, c’est un peu le même principe.

Piketty-TalyCette proposition, partagée par une grande partie de l’UMP, est la pierre angulaire du projet de « Révolution fiscale » de Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez. Ce consensus transpartisan sur un sujet aussi clivant que l’impôt (et dont on peut donc légitimement s’étonner) offre à ceux qui s’en revendiquent la possibilité de répondre, lorsqu’on leur demande quand, au juste, nous rénoverons notre fiscalité : « Pas tant que l’impôt sur le revenu (IR) et la CSG seront séparés. »

Ce qui revient, au fond à dire : « D’abord il nous faut fusionner ces deux impôts ; et après, on se mettra autour d’une table pour rénover notre fiscalité vers plus de justice sociale et d’efficacité économique ».

Côté Gracques, nous nous sommes occupés de mettre la table à disposition. Et notre point de vue, c’est que la fusion IR/CSG n’est qu’une technique, pas un projet, et encore moins un véritable sujet de campagne. Le vrai projet, ce devrait plutôt être : quel profil souhaitons-nous pour l’impôt sur le revenu ? Quelles niches supprimer ou atténuer ? Comment régler le problème des très hauts revenus ? Autant de questions qu’il importe de traiter sans perdre de temps, plutôt que de tabler sur une fusion qui, au-delà de sa complexité intrinsèque, risque de ne pas atteindre les buts escomptés.

Pour y réfléchir et vous faire votre avis, venez assister au débat qui rassemblera Thomas Piketty et Michel Taly à Sciences Po, Amphithéâtre Jacques Chapsal, le mercredi 21 septembre 2011, de 19h15 jusqu’à 21 heures (27 rue Saint-Guillaume, 75007 Paris) et que nous organisons en partenariat avec l’association Jeune République.

Thomas Piketty et Michel Taly :

 

Thomas Piketty, ancien élève de l’École normale supérieure, est spécialiste de l’étude desinégalités économiques, en particulier dans une perspective historique et comparative. Il a reçu en2002 le Prix du meilleur jeune économiste de France. Promoteur majeur de l’École d’économie de Paris, il y est aujourd’hui professeur. Proche du parti socialiste, il a publié avec Camille Landais et Emmanuel Saez « Pour une révolution fiscale, Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle » préconisant de remettre à plat notre système d’imposition et de réformer en profondeur l’impôt sur le revenu.

A sa sortie de l’Ena, Michel Taly choisit la direction générale des impôts. Chargé de mission pour les questions fiscales au cabinet de Michel Rocard, alors Premier ministre, il devient par la suite Directeur de la législation fiscale. Il poursuit sa carrière de fiscaliste au barreau. Il est aujourd’hui avocat associé au sein du cabinet Arsene Taxand. Grand technicien, praticien et engagé, il propose sur son blog http://www.debateco.fr/category/blog/le-blog-de-michel-taly ses analyses sur les dernières évolutions législatives et, entre autres, les ambigüités fiscales de la gauche.

Dépenses d’hier, dettes d’aujourd’hui et impôts de demain

La trajectoire de l’endettement public et celle du taux des prélèvements obligatoires le montrent clairement : depuis 1974, nos gouvernements successifs ont globalement choisi de recourir à l’endettement plutôt qu’à une hausse de la pression fiscale pour financer les déficits publics…

Cette stratégie aurait eu quelque sens si nous avions structurellement connu un excédent primaire (c’est-à-dire si, en rythme de croisière, nos recettes fiscales avaient été supérieures aux dépenses) et s’il s’était agit de financer quelques campagnes d’investissement en ne recourant à la dette que pour lisser l’effort financier dans le temps. Mais nous avons financé, par cette dette, des dépenses de fonctionnement ou de transfert qui ont naturellement vocation à être prises en charge par la fiscalité.

Plusieurs raisons ont été mises en avant pour justifier un tel choix. La première tient à la mobilité de la base fiscale : les économistes les plus libéraux et, d’une manière générale, les ardents pourfendeurs de toute mesure fiscale supplémentaire ne manquent pas une occasion de brandir le risque de voir, si les impôts sur les plus riches ou sur les entreprises venaient à augmenter, tout ce petit monde se réfugier en Suisse.

S’agissant des entreprises, l’argument de la mobilité n’est pas sans poids. On a pu observer l’attrait des taux d’IS pratiqués par l’Irlande, et l’enjeu est particulièrement fort pour les activités de services : lorsqu’il n’est pas besoin de déplacer des usines, mais seulement quelques serveurs et quelques cerveaux, la délocalisation des entreprises pour des raisons fiscales peut être un vrai sujet.

Mais en ce qui concerne les particuliers, l’histoire montre que les contribuables ne sont pas si prompts à fuir qu’on tente de nous le faire croire. En effet, l’expérience française a démontré par le passé que la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu pouvait atteindre 75% (en 1980) sans pour autant que des hordes n’aient quitté le pays. Les Etats-Unis ont eux aussi pratiqué des taux marginaux à la limite du confiscatoire pour les très hauts revenus, et ce même sous le très libéral Ronald Reagan !

On objectera peut-être que les conditions de la mobilité des revenus et des patrimoines n’étaient sans commune mesure à l’époque : c’est faux, les paradis fiscaux sont aussi vieux que l’impôt lui-même (on en retrace des exemples jusqu’à l’an 2000 avant JC) et il était plus facile il y a 30 ans de détenir un compte en Suisse que cela ne l’est aujourd’hui…

L’existence de forts taux d’imposition par le passé a également mis à mal un autre argument libéral : celui de la courbe de Laffer, c’est-à-dire l’idée que trop d’impôt « tue l’impôt » lorsque la fiscalité devient dissuasive. Les années 70 et 80 ont été des années de croissance et nous n’avons pas trace d’un découragement de l’activité lié à une pression fiscale excessive au-delà d’un certain revenu. En réalité, les théories économiques dites du « cycle de vie » tendent plutôt à montrer que les individus raisonnent par objectifs de patrimoine : pour caricaturer, ils travaillent jusqu’à ce qu’ils aient pu s’offrir la maison qu’ils désirent (raisonnablement), la voiture qu’ils désirent, ou la piscine dont ils rêvent pour leurs vieux jours, et ce quel que soit leur taux moyen d’imposition.

Il est également illusoire de penser que l’endettement serait moins douloureux pour la croissance qu’une hausse bien calibrée des contributions. Certes, en empruntant sur les marchés internationaux, les Etats évitent, à l’instant t de prélever la totalité des liquidités dans les circuits économiques domestiques : on met l’étranger à contribution. Mais enfin, il faut bien rembourser un jour en prenant l’argent dans les caisses de l’Etat, c’est-à-dire dans les poches du contribuable. A moyen terme, les arguments tenant au financement de l’économie sont donc spécieux lorsqu’il faut choisir entre la dette et l’impôt.

Non, les seules, les vraies raisons qui ont pu conduire les gouvernements à préférer la dette à l’impôt sont, d’une part, une éthique de conviction, c’est-à-dire le refus pour des raisons idéologiques d’aller au-delà d’un certain taux de prélèvements obligatoires (c’était la logique de feu le bouclier fiscal), mais qui ne s’est pas accompagnée de l’éthique de responsabilité qui voulait que les dépenses soient réduites corrélativement et, d’autre part, de purs arguments électoralistes. Car s’endetter c’est surtout faire porter au gouvernement suivant le chapeau de la hausse des impôts.

Quelles sont les morales de cette histoire ?

La première, c’est qu’il faut arrêter de jeter de l’argent public par les fenêtres en laissant l’Etat s’endetter sur les marchés financiers plutôt que d’augmenter les impôts. En clair : lorsque l’Etat s’endette, il reporte dans le futur la décision d’augmenter les prélèvements obligatoires. Le fait de repousser cette échéance permet aux contribuables de placer ou d’utiliser leur argent dans cet intervalle de temps : cette opportunité a une valeur, un prix de « préférence pour le présent ». Or lorsque l’Etat emprunte à des taux beaucoup plus élevés que ce simple prix du temps en raison d’importantes primes de risques, liées aux doutes des marchés sur sa solvabilité, la collectivité perd de l’argent : elle paie plus cher que ce que lui rapporte la possibilité de remettre à plus tard une hausse des impôts.

C’est d’autant plus vrai que la France dispose d’un très fort taux d’épargne, plutôt mal rémunérée en moyenne : tout en repoussant à prix d’or la décision de renforcer la fiscalité, l’Etat laisse beaucoup d’argent peu productif dans les bas de laine.

La deuxième conclusion, c’est que la meilleure de toutes les règles d’or est le mandat unique, au sens de non-renouvelable ! Un gouvernement qui ne joue pas sa réélection sur son approche de la fiscalité sera beaucoup plus susceptible de limiter le recours à l’endettement. Parmi toutes les garde-fous contre les déficits publics, limiter les principaux mandats exécutifs à un seul tour de piste serait peut être le plus solide…

Les Gracques

L’Emprunt pour Rien

A défaut de convaincre les économistes, le grand emprunt est déjà devenu la coqueluche des humoristes : c’est le premier emprunt public dont le pouvoir essaye de faire croire qu’il diminuera la dette. En convoquant deux anciens premiers ministres pour donner du contenu à son projet, Nicolas Sarkozy tente un coup politique. Il y a peu de chance que cela suffise à donner du sens à ce qui n’en avait manifestement pas : pas d’indication sur le montant, pas de proposition d’emploi pour cette ressource supplémentaire, pas de raison de la distinguer des milliards qu’emprunte tous les mois l’Etat français.

Revenons donc à l’essentiel : la dette publique.

La gravité de la crise a conduit la plupart des Etats à laisser dériver le déficit et la dette publics. Mais ils ne l’ont pas tous fait de la même manière. Les « stabilisateurs automatiques » ont joué partout ; mais un peu plus en France car la protection sociale y est heureusement plus développée. A cela, s’ajoutent les trains de mesures hebdomadaires d’un gouvernement qui n’a qu’une réponse à apporter à la crise, digne de Desproges plus que de Descartes : « je dépense donc je suis. » D’où un recul du PIB un peu inférieur à ce qu’on aurait pu attendre, et c’est tant mieux. Le déficit et la dette atteignent néanmoins un niveau que les deux derniers siècles n’ont jamais connu en temps de paix : 8% du PIB pour le déficit et bientôt 100% du PIB pour la dette. Si une telle dérive n’est pas singulière, la situation française est plus grave à deux titres.

D’abord, le déficit est plus structurel : nous vivons dans le rouge depuis des décennies. Parmi les pays de l’OCDE, nous sommes les champions des « mauvais déficits » et nous n’avons rien fait pour les corriger. Après les dépenses de l’Etat, ce sont celles des collectivités territoriales et, de plus en plus, celle de la protection sociale que nous renvoyons à nos enfants. Mais il y a plus grave encore, car chez nous , le niveau des prélèvements obligatoires étant plus élevé ,le déficit est plus important en proportion de la masse taxée ; 8% de déficit quand les prélèvements représentent 45% du PIB ,cela équivaut une impasse de 15% du revenu national après impôt !Et une dette publique de 100% du PIB ne se rembourse alors qu’en confisquant pendant deux ans l’intégralité des revenus qui restent après impôt, la moitié pendant quatre ans ,ou le dixième  pendant 25 ans etc…

Encore cette dette est elle aujourd’hui assortie d’un taux d’intérêt historiquement bas. Mais cela ne durera pas, parce que les énormes masses monétaires injectées pour combattre la crise génèreront bientôt des anticipations d’inflation différentes ; parce que les investisseurs reviendront sur les actifs privés et commenceront à se méfier des Etats. Quand les taux ne bougeraient que de 3%, le déficit augmenterait du montant de l’impôt sur le revenu, et resterait à 7 ou 8% même si les dépenses exceptionnelles pour faire face à la crise étaient rapportées. C’est la trappe du surendettement. Oui, la Cour des Comptes a raison de souligner que nous sommes entraînés dans une spirale incontrôlable de la dette. Et puisque le premier ministre n’exagérait qu’à peine en déclarant il y a un an l’Etat « en faillite », est il bien raisonnable de s’endetter plus ?

Un « grand emprunt » ? L’Etat emprunte déjà plus de 20 milliards d’euros par mois ; passer à 30 milliards d’euros ou plus ne fait qu’accroître les risques de financement.

Emprunter « auprès des français » ? Mais ils prêtent déjà massivement à l’Etat, à travers leurs contrats d’assurance vie ; un emprunt direct auprès des particuliers, dicté par des motifs purement politiques, ne fera que coûter plus cher ;

Emprunter pour « illustrer la confiance » des épargnants? Ce sera au contraire  envoyer prématurément le désastreux signal d’une difficulté de financement des pouvoirs publics, prêts à se financer à un coût notablement supérieur au prix de marché.

Emprunter « pour dépenser mieux » ? C’est ce que l’on promet depuis toujours chaque fois qu’il s’agit de dépenser plus. Mais qu’en est-il des tombereaux d’argent public  dépensés et empruntés depuis trois décennies? Des quinze milliards qui chaque année financent par emprunt le paquet fiscal ? De ceux qui paieront la baisse de la TVA sur la restauration ? Le choix de ces déficits-là n’a aucune justification économique. Plutôt que d’emprunter toujours plus, on ferait mieux d’arrêter de dépenser pour rien. L’argent manque pour l’éducation, la recherche, les nouvelles technologies, c’est vrai. Mais c’est parce que l’Etat gère mal et ne se réforme pas. Il devrait d’abord balayer devant sa porte plutôt que d’accroître le gaspillage de l’argent public.

Non, vraiment, le grand emprunt ne rapportera rien, tirons en les conséquences : mieux vaudrait, comme cela est proposé par une partie de la majorité, rendre cet emprunt obligatoire et progressif. Rémunéré au taux de l’inflation, ce serait une ressource peu coûteuse. Quant à son utilisation, plutôt que de gaspiller encore, il vaudrait mieux que les fonds collectés servent à restructurer la dette existante en en réduisant le coût et en en allongeant la maturité ; c’est à ces deux conditions que « l’emprunt » pourra, marginalement, contribuer au seul objectif qui vaille : restaurer la solvabilité de l’Etat, qui est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas.

“Il faut rompre le pacte faustien passé avec le marché”

Une voix douce. Derrière le tohu-bohu médiatique dominé par les faux prophètes dont le seul atout est de parler plus fort que les autres, il y a des points de vue solides, originaux et surtout enrichis et validés par l’expérience. Comme celui de Jean-Baptiste de Foucauld. L’approche de la crise et de ses conséquences par ce haut fonctionnaire engagé de longue date dans le social, d’abord aux côtés de Jacques Delors, sonne de prime abord comme le rappel à l’ordre d’un moraliste. Mais le “moine fonctionnaire” n’en appelle pas, loin s’en faut, à une “société triste”. Lucide, il sait rendre son discours exigeant, sympathique et entraînant: “La panne de sens, voila la question. »

Retrouvez l’intégralité de l’entretien avec Jean-Baptiste de Foucauld paru dans le Nouvel Economiste ici.

Réforme de l’Etat

La suppression du contrôle financier a priori

En ce début de mandat présidentiel et de législature, l’heure est au lancement de réformes qui veulent imprimer un nouveau cours. Si la lutte contre l’insécurité, l’encouragement au travail et la rénovation des universités se taillent la part du lion dans les premiers chantiers législatifs, la réforme de l’Etat et de manière générale la modernisation de l’action publique tiennent pour l’instant une place modeste dans le paysage de la réforme.

Le non remplacement d’un agent sur deux partants à la retraite, qui peut se justifier dans certains secteurs, où les besoins diminuent ou peuvent être absorbés par des gains de productivité, mais il ne saurait tenir lieu d’alpha et d’omega d’une réforme de l’Etat qui se voudrait prometteuse pour le public et motivante pour les agents.

La revue générale des politiques publiques annoncée par le Premier Ministre dans sa communication du 20 mai engage de son côté une démarche nécessaire et salubre, mais il s’agit d’un chantier de moyen terme qui ne pourra pas se traduire par des améliorations tangibles dans un proche avenir.

Il serait dommage que la rénovation de l’action publique reste ainsi quasiment à l’écart de la période traditionnelle d’état de grâce dont tout nouveau pouvoir doit savoir tirer le meilleur parti pour donner vite les impulsions qui s’imposent. Car en la matière, l’attente de nos concitoyens est forte, contrairement à ce que pourrait suggérer une lecture trop rapide des études récentes, où les cotes de popularités élevées de beaucoup de services publics traduisent davantage l’attachement de nos concitoyens à leur égard qu’une complète satisfaction sur la manière dont ils fonctionnent au quotidien. L’attente est également réelle au sein même des administrations publiques, parmi tous ceux des cadres et des agents qui sont profondément attachés au service public mais qui sentent aussi que l’immobilisme serait son pire ennemi.

Il faut donc incarner rapidement une volonté de changement par des mesures susceptibles de libérer les énergies et les initiatives dans l’intérêt du service public. Parmi les mesures  qui pourraient très vite illustrer un tel élan, la suppression du contrôle financier à priori aurait plusieurs vertus :

–    elle est simple à mettre en œuvre : il s’agirait d’abroger un décret en conseil des ministres du 26 mai 1955, récemment modifié d’ailleurs par un décret du 10 mai 2005, dans un sens plutôt bien venu qui tarde hélas à se concrétiser. Certes, c’est un décret signé du Président Edgar Faure qu’il s’agirait d’anéantir, mais la modernisation de la gestion publique ne vaut –elle pas ce sacrilège ?

–    elle est aisément compréhensible par tous, de même qu’une famille doit gérer de façon responsable ses dépenses en fonction de ses ressources, il est de la responsabilité des gestionnaires des organismes publics d’utiliser au mieux des enveloppes globales qui leurs sont allouées pour remplir leurs missions, quitte à être sanctionnés à postériori si l’examen de leur gestion fait ressortir des erreurs caractérisées ou à fortiori des écarts encore plus graves.

–    Elle est source d’économies : s’il arrive que le contrôle à priori soit exercé de façon éclairé et très sélective, la confrontation  des expériences au sein de la sphère publique confirme qu’il est encore trop souvent source de coûts de transaction prohibitifs engendrés par les démarches parfois itératives de justification et de négociation pour obtenir des visas. Le tout constitue aujourd’hui un gaspillage administratif difficile à justifier dans un contexte où l’on demande aux managers publics de faire plus et mieux avec autant voire moins de moyens.

–    Elle est conforme à l’esprit de la LOLF : c’est bien en effet l’esprit de la LOLF que de tabler sur la responsabilité de gestion et l’initiative, pour améliorer à la fois l’efficacité et l’efficience de l’utilisation des ressources publiques ; de ce point de vue, le maintien du contrôle à priori fait aujourd’hui figure d’archaïsme.

–    Elle va dans le sens de l’harmonisation européenne : notre pays fait en effet figure d’exception en maintenant un contrôle externe à priori, alors que la plupart de nos partenaires européens soit non jamais connu ce type de contrôle, soit ont pris résolument le cap de la mise en situation de responsabilité de managers publics, dans le cadre de démarches de réforme de l’Etat souvent bien plus avancées que la nôtre et poursuivies au delà des alternances politiques.

Mais, objectera-t-on, abolir une telle forme de contrôle ne revient-il pas à faire un saut dans l’inconnu et à faire prendre des risques financiers aux collectivités publiques en favorisant des dérives au moment même où la plus grande rigueur de gestion s’impose ?

Dans son principe même, cette objection traduit bien la force d’une tradition administrative qui a bâti tout un arsenal de contrôle à priori et à posteriori sur la base d’un postulat de défiance vis-à-vis de l’agent public, soupçonnable à priori de faiblesse ou d’impéritie. Ajoutons tout de suite qu’elle idéalise aussi le système de contrôle traditionnel et notamment sa composante à priori : elle a sûrement empêché bien des petits gaspillages, mais elle a aussi entravé des initiatives de gestion qui auraient pu être fécondes, et elle n’a pas pu prévenir les plus gros sinistres financiers engendrées par des erreurs de gestion, que ce soit dans des entreprises publiques ou dans l’orbite strictement administrative.

En outre et surtout, il est possible d’assortir la suppression du contrôle à priori de garde-fous en exigeant que les gestionnaires des organismes concernés soient dotés pour leur propre pilotage interne et puissent produire périodiquement auprès des autorités de tutelle des tableaux de bord permettant de visualiser non seulement l’évolution de l’activité et les résultats mais aussi de repérer les facteurs de risques. Le contrôle à priori pourrait ainsi être supprimé dans son principe mais rétabli à titre exceptionnel dans des situations de fragilité caractérisée de la gestion interne.

Enfin, la levée du contrôle financier à priori n’aboutirait fort heureusement pas à mettre au chômage l’ensemble du corps du contrôle économique et financier. Outre que bon nombre de ses membres exercent d’ores et déjà aujourd’hui dans des logiques qui ont dépassé la culture traditionnelle du visa, les contrôleurs pourraient être utilement reconvertis, soit vers des fonctions de contrôle de gestion interne, intégrées au management des organismes, qui se rencontrent fréquemment dans des structures étrangères, soit pour renforcer le potentiel d’audit des politiques publiques.

En définitive, le choix rapide d’une telle mesure ne serait pas seulement un signal de confiance dans l’esprit de responsabilité et la capacité de gestion des managers publics. Elle serait aussi et d’abord un choix de raison, pour ne pas dire de bon sens.

Si l’Euro n’existait pas…

2008. Le Franc est toujours là et la France jugée sur ses résultats économiques. Ceux-ci sont aussi mauvais qu’en 1982 – même déficit du commerce extérieur, dérapage similaire des comptes publics, perte massive de compétitivité – mais l’écart s’est accru par rapport à des voisins redressés. Et les masses de capitaux spéculatifs qui attaquent le Franc ont été multipliées par 10. Les quatre dévaluations depuis septembre 2001 ne les ont pas calmées. Elles ont rendu hors de prix les produits importés, dont on ne peut se passer. Le litre de super est à 17 francs. Les taux d’intérêt sont au-dessus de 10% ; l’immobilier est moins cher, mais plus personne ne peut emprunter.

Les entreprises n’investissent plus, les ménages endettés à taux variables doivent vendre leurs logements. La consommation et le pouvoir d’achat s’effondrent. L’Etat doit payer 450 milliards de francs de plus en intérêts de la dette. Comme il ne peut pas dégager les ressources nécessaires en doublant l’impôt sur le revenu, ni passer la TVA à 30%, le déficit atteint 7% du PIB. Depuis que les Francais ont voté « non » au referendum sur le plan de redressement négocié avec Dominique Strauss Kahn au FMI, les agences de notation ont dégradé l’Etat français. Ce qui veut dire qu’il ne peut plus lever de dette, alors qu’il doit rembourser les anciennes…

Comment en sortir ? Nicolas Sarkozy hésite entre les deux camps qui divisent ses conseillers : d’un côté, les tenants du « modèle argentin » qui parlent de sursaut national ; de l’autre, les « thatchériens », qui ont un plan : des économies permettant de réduire de 20% d’un coup les dépenses publiques, en supprimant les minimas sociaux, en privatisant la Sécurité sociale et en licenciant un quart des fonctionnaires. Entre eux, « C’est la guerre des Malouines », titre le Nouvel Observateur…