Logement : sortir du piège du malthusianisme

Introduction

La politique du logement fait en France l’objet de débats récurrents et légitimes, qui portent principalement sur la nature des interventions publiques (aide à la pierre ou à la personne), leur objet (neuf ou locatif ; logement social), leur efficacité ou leur coût. Mais l’opportunité même de soutenir le logement et la construction apparait en général comme une évidence à la plupart des intervenants.

Or, les derniers débats et arbitrages relatifs au soutien public au logement montrent qu’une thèse nouvelle s’est développée au sein de l’administration, qui ne manque pas de relais dans la société civile et le monde politique.On en trouve une explicitation précise dans plusieurs documents récents de la Direction Générale du Trésor, curieusement passés inaperçus dans le débat public. 

Selon cette thèse, la France disposerait déjà de suffisamment de logements pour satisfaire les besoins des Français (36 millions de logements pour 29 millions de ménages) – et ce y compris dans les zones dites tendues. L’argument principal est que le taux moyen d’occupation des logements est en décrue sur l’ensemble du territoire. Le moment serait donc venu de limiter la politique d’aide à la construction neuve, au profit d’une politique de soutien à la rénovation, principalement énergétique, venant compléter les programmes de réhabilitation des centres villes.

Le débat n’est pas théorique, bien au contraire :à la lecture du plan de relance substantiel annoncé par le gouvernement (100 milliards d’euros sur 3 ans), on ne peut qu’être frappé de constater qu’il est centré non sur la relance du logement neuf mais sur : (i) l’aide à la rénovation énergétique des bâtiments privés (Ma Prime Renov’ pour 2mds€) ; (ii) la rénovation des bâtiments publics (4mds€ dont 300m€ délégués aux régions) et du parc social (500m€). 

Cette vision s’impose également chez nombre de responsables locaux de sensibilité écologiste, dont les programmes comportent des engagements de « dédensification » en matière d’urbanisme (Bordeaux, Strasbourg, etc.) – ce qui, aux bornes d’une ville, signifie le choix d’une réduction délibérée des programmes de logements neufs, qu’ils soient privés ou sociaux. Construisons moins, disent les élus écologistes… en tous cas « not in my backyard », ajoutent leurs électeurs.

Que le Trésor produise la théorie de ses économies budgétaires possibles est compréhensible. Mais le plus intéressant est de comprendre les équilibres politiques et sociaux qui ont conduit à ce que le ralentissement délibéré de la construction de logements puisse devenir l’élément d’un programme politique presque consensuel

Comment expliquer un tel changement ?

Depuis trente ans, le marché de l’immobilier se caractérise par une inflation spectaculaire des valeurs de marché, essentiellement concentrée sur les villes centres. Cette hausse des prix est bien connue, ainsi que ses effets sur la concentration du patrimoine, les transferts entre générations et la difficulté d’accès au logement – et a fortiori à la propriété – des nouveaux entrants ne bénéficiant pas de la grâce de l’héritage. 

Trois principaux moteurs la nourrissent : 

  • la baisse continue des taux d’intérêt, qui accroît mécaniquement la valeur de tous les actifs de rente et compense l’effet des hausses de prix sur la solvabilité des accédants ;
  • l’arrivée des générations nombreuses du baby boom à l’âge d’accéder à la propriété ou de s’agrandir ;
  • la « métropolisation », qui concentre les emplois et la valeur d’une société d’innovation et de services sur quelques grandes agglomérations – rappelons que l’immobilier a baissé en euros courants sur les douze dernières années hors des vingt-cinq principales agglomérations françaises.

Le rappel de ces trois moteurs est important, car il permet de se rendre compte qu’ils sont arrivés à bout de souffle : les taux d’intérêt ne peuvent plus baisser, puisqu’ils sont déjà proches de zéro ; les générations du baby boom vont bientôt quitter leur domicile pour les maisons de retraite, devenant ainsi vendeuses nettes d’immobilier ; quant à la métropolisation, il n’est plus certain, aux lendemains de l’épidémie et compte tenu de nos nouvelles habitudes de télétravail et de nos équipements en fibre et 5G, qu’elle soutienne à elle seule un écart croissant de rentes foncières entre les villes centre et les périphéries. 

Le marché de l’immobilier ne paraît donc plus pouvoir compter sur des plus-values mécaniques, ce qui constituerait un changement de paradigme pour tout le monde : pour les propriétaires, qui devront compter sur la valeur d’usage ou le rendement courant plutôt que sur la plus-value finale ; pour les constructeurs, qui devront devenir plus industriels pour construire moins cher ; pour les foncières privées et les bailleurs sociaux, qui devront constituer de grands opérateurs efficaces pour gérer à moindre coût les locataires et les travaux d’entretien ; pour les intermédiaires, qui ne pourront plus prélever des rentes excessives que leurs clients n’acceptent que parce qu’ils espèrent des plus-values confortables.

Tout cela augure de mutations douloureuses. 

Comme toujours à l’aube d’une telle transformation, il faut attendre des joueurs en place qu’ils cherchent une organisation politique et sociale qui préserve l’économie de rente. 

Quelle meilleure manière d’y arriver que d’arrêter de construire ? Limiter l’offre, c’est assurer aux propriétaires en place que les prix ne baisseront pas. C’est leur éviter, de même qu’aux locataires, de nouvelles promiscuités qui peuvent les inquiéter. C’est dispenser les bailleurs, privées ou sociaux, de cet effort de réorganisation et d’optimisation que leur imposerait un marché équilibré. C’est permettre aux notaires et aux villes de continuer à vivre de transactions inflatées et à une multitude de vendeurs d’immobiliers ou de produits fiscaux de modéliser des plus-values confortables pour convaincre les acheteurs. Bref, à part les constructeurs, l’arrêt de la construction est un moindre mal beaucoup d’acteurs. 

Pour autant, il nous semble que ce n’est pas l’intérêt collectif du pays.

Notre conviction est que cette vision, que nous qualifierons de « malthusienne »,ignore très largement que le logement reste : 

  • un secteur créateur d’emplois et de richesses économiques dans un pays qui en aura bien besoin en sortie de crise ;
  • le principal moteur de l’épargne et de l’investissement privé ;
  • la principale composante des inégalités de conditions de vie, a fortiori dans le contexte né de la crise sanitaire. 

Parce qu’elle sous-estime la réalité des besoins, tant quantitatifs que qualitatifs, la vision malthusienne du logement en France est susceptible de poser plusieurs difficultés majeures d’ordre économique aussi bien que social dans les toutes prochaines années. Il est possible et urgent de corriger cette vision.

Intégralité de la note à consulter ici :

Tribune: « Non » au confinement: Macron a dix fois raison

« Le Président américain Abraham Lincoln avait conclu une réunion ainsi : « Sept oui, un non, les non l’emportent ». Emmanuel Macron a fait pareil en refusant, presque seul contre tous, de mettre le pays sous cloche une troisième fois. Il a eu dix fois raison.


1. Parce que ça n’est ni la première, ni la dernière pandémie que nous devons apprendre à gérer. Sans remonter à la grippe espagnole, les grippes asiatiques et de Hong Kong avaient autant tué en France à la fin des années 1950 et 1960 en proportion qu’aujourd’hui. Nos sociétés avaient affronté cette épreuve sans fermer les écoles, hystériser les médias ni arrêter l’économie. Le risque de pandémie fait désormais partie de la vie, assumons-le.

2. Parce que le choix collectif du tout confinement n’est pas probant. La Corée du Sud ou Taiwan s’en sont dispensés, avec succès. Le sacrifice de l’activité en France a conduit à des résultats sanitaires à peine meilleurs qu’en Suède où l’on n’a pas confiné.

3. Parce que l’essentiel des victimes sont les personnes âgées, fragiles ou malades, ce sont elles qu’une société solidaire doit protéger au maximum. En compensant leur perte de revenus intégralement quand ils ne peuvent plus travailler, en les vaccinant en premier et en les accompagnant à domicile ou en établissement pour leurs besoins domestiques et de santé. Les protéger donc, sans tout geler pour les autres.

4. Parce que c’est la peur de représailles judiciaires qui a inhibé les décideurs, au moment où ils sont au pied du mur de leurs responsabilités. Conséquence : on s’en remet à des médecins pour recommander voire endosser les décisions alors que c’est le rôle des politiques qui ont été élus pour cela.

5. Parce que l’administration n’achète ni ne distribue aussi bien que le privé avec lequel la collaboration est souvent difficile. Elle sait établir des procédures, contrôler ou interdire, au risque d’infantiliser, alors qu’en temps de crise ce sont bon sens, pragmatisme et humanité qui entraînent l’acceptabilité populaire, donc l’efficacité.

6. Parce que le facteur clé aux yeux des médecins est la peur de se retrouver avec des hôpitaux débordés par le nombre de malades par rapport aux lits d’accueil. Le plus urgent est donc de se mobiliser sur ce point. Des moyens supplémentaires et des lits en trop coûtent infiniment moins cher que la cessation de l’activité du pays.

7. Parce que fermer les activités dites « non essentielles » a été une erreur économique et culturelle. Le mot traduit l’incompréhension de ce qui fait l’âme de notre pays et affecte sa psychologie collective. Pourquoi interdire cinéma, théâtre, bibliothèques, musées, quand on peut aisément y espacer le public, bien plus qu’en avion ou en train ? On ne punit pas le bobo parisien, c’est la France qu’on brutalise, ce pays où le spectacle et la culture font partie de l’intimité des êtres. Pourquoi fermer petits commerces et grands magasins où la jauge est aisée à respecter ? Quant aux restaurants, au lieu de céder à la facilité d’une décision nationale, fixer des règles adaptées aux situations locales permettrait de travailler aux établissements disposant d’espace et d’indemniser complètement les autres.

8. Parce que le « quoi qu’il en coûte » doit se limiter à ce qui est nécessaire et utile pour l’avenir. Le soutien à l’économie a combiné l’action des banques avec bpifrance, l’Ademe, la Caisse des Dépôts. Laissons prendre leur risque aux entreprises privées qui ont su s’adapter ou se réinventer pour survivre, sans qu’on leur demande.

9. Parce qu’aujourd’hui, c’est la rapidité de la vaccination qui redonnera confiance. La priorité doit donc être donnée à développer la production, assurer la logistique et mobiliser tous les praticiens capables de faire l’injection à ceux qui la veulent, plutôt qu’à chercher à convaincre les autres qui ont le temps de changer d’avis.

10. Parce que les jeunes sont au premier rang des victimes. Eux qui sont les moins exposés au virus ont vu le confinement éteindre vie sociale, études, voyages, stages, petits boulots, apprentissage, emploi, relations familiales ; et leur laisser le fardeau d’une dette massive. Si la mobilisation doit être déclarée, c’est à leur égard. Le confinement à répétition est donc la plus douloureuse des réponses à la pandémie. Dix problèmes, autant de solutions : accepter la réalité, protéger les plus fragiles, appliquer les règles d’hygiène et les gestes barrières, faire coopérer public et privé, laisser la décision au politique, tenir compte des situations locales, accroître le nombre de lits, accélérer la vaccination, décélérer l’endettement et responsabiliser chacun. Dix principes pour redonner espoir au pays plutôt que l’enfoncer dans la dépression économique, psychologique et sociale. »

Bernard Spitz, à lire dans Les Echos