Fusion impôt sur le revenu / CSG : une fausse bonne idée ?

Après le débat qui entre Thomas Pikety et Michel Taly qui s’est tenu à Sciences Po le 21 septembre au soir (compte-rendu à venir), découvrez plus en détails la position des Gracques quant à la fusion IR / CSG au travers d’une note récapitulative. Cette note se propose en substance de montrer qu’aucune des trois promesses de cette réforme (le passage à la retenue à la source, l’élimination des niches fiscales et l’extension de la progressivité à la CSG) ne sera tenue.

La fusion entre l’Impôt sur le Revenu (IR) et la contribution sociale généralisée (CSG) est à la mode : mise en avant par l’ouvrage « Révolution fiscale » de Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez, elle est préconisée à la fois par le Parti Socialiste et certains responsables de l’UMP. Ce consensus transpartisan sur un sujet aussi clivant que l’impôt éveille le soupçon : la fusion IR/CSG n’est qu’une technique, pas un projet.

L’idée est en effet séduisante car elle permet d’atteindre simultanément trois objectifs : passer à la retenue à la source pour l’IR, se débarrasser d’un coup de toutes les niches qui mitent l’assiette de cet impôt et introduire de la progressivité dans la CSG.

Au fond, l’idée est qu’en faisant une réforme globale, on trouvera le courage de faire ce qu’on n’arrivait pas à faire séparément. Pour juger des chances de réussite d’un tel pari, il faut examiner séparément chacun de ces trois éléments :

1. Passer à la retenue à la source pour l’IR :

C’est un serpent de mer depuis des décennies. De nombreux gouvernements ont lancé des études face aux attraits d’une telle réforme (réduction du coût de gestion de l’impôt, simplicité, idées claires des ménages sur leur revenu réellement disponible) et ont renoncé au dernier moment en raison :

1) de la complexité de la transition la première année (schématiquement, il faut sauter une année car l’IR est actuellement calculé sur les revenus de l’année n-1 alors que la retenue à la source s’opère sur les revenus de l’année n. A tout le moins, il faut donc des dispositifs correcteurs pour tenir compte des évènements exceptionnels et des risques d’optimisation cette année-là) ;

2) des réticences en termes de « libertés publiques » face à la perspective de devoir donner à l’employeur des informations sur les autres revenus du ménage par l’indication du taux d’imposition de chacun de ses salariés pour effectuer la retenue à la source.

Il est illusoire de penser qu’il sera plus facile de passer à la retenue à la source à l’occasion d’une fusion entre IR et CSG, celle-ci présentant par ailleurs d’autres difficultés. Le seul bénéfice d’une réforme globale serait de décider le gouvernement à sauter le pas, alors que le rapport entre avantages et inconvénients est peu favorable pour un simple passage à la retenue à la source.

2. Supprimer toutes les niches de l’IR :

L’idée de la manœuvre est de prendre pour le nouvel impôt fusionné l’assiette de la CSG, qui est beaucoup plus large que celle de l’IR, naturellement plus étroite et par ailleurs criblée de niches. Le pari est donc que, pour une fois, la bonne assiette va chasser la mauvaise et non l’inverse.

La raison supposée du faible nombre de niches pour la CSG est que cet impôt est sanctuarisé par sa finalité, qui est la protection sociale. Dans le projet de fusion le plus consensuel, l’impôt fusionné resterait d’ailleurs destiné aux 2/3 à la protection sociale.

Une explication plus pessimiste de l’absence de niches pour la CSG est qu’elles sont techniquement impossibles dans une retenue à la source à taux unique sans régularisation annuelle. Sans la variable d’ajustement qu’est la régularisation (cette modification qui peut être opérée pour l’IR lors du paiement du dernier tiers), la seule possibilité est l’exonération totale ou le taux réduit pour une catégorie entière de l’assiette. La chirurgie fine est donc impossible.

Or le nouvel impôt progressif serait retenu à la source à un taux personnalisé et ferait, lui, l’objet d’une régularisation sur la base d’une déclaration. Il serait donc techniquement possible d’introduire dans un tel impôt toute les niches que l’on peut souhaiter. En conséquence, l’idée que la fusion des deux impôts augmentera la capacité de résister à la création des niches paraît un peu angélique.

En outre, le partage de la recette entre l’État et la protection sociale ne sera facile qu’à législation constante. Toute évolution de taux créera des litiges entre les deux bénéficiaires. Et en cas d’évolution de l’assiette, on aura deux possibilités : soit l’État compense la perte (et le coût de la niche sera pour lui trois fois plus élevé qu’avant), soit on accepte une divergence d’assiette que connaissent souvent les états fédéraux.

3. Rendre la CSG progressive :

Bien que, techniquement, la CSG soit un impôt, elle est perçue comme une cotisation sociale. Cela explique que la question de sa progressivité ne soit pas posée avec insistance. Au plan des principes, tant que le ménage n’est pas fait dans le financement de la protection sociale, entre prélèvement avec contrepartie et prélèvement sans contrepartie, on peut justifier un prélèvement proportionnel.

Dans un impôt fusionné la question ne se pose plus : le nouvel ensemble est forcément progressif. On a alors deux possibilités :

– Faire une première tranche au taux de 8%, correspondant au cumul des taux de CSG et de CRDS (avec une question subsidiaire: que faire des taux plus élevés sur les revenus d’épargne ?), jusqu’au seuil d’imposition de l’IR, puis superposer le taux de l’IR pour les revenus au-delà de ce seuil.  Un tel choix serait politiquement difficilement justifiable (« tout ça pour ça ! ») et constitutionnellement fragile (un IR peut-il ne pas avoir une tranche zéro jusqu’au minimum vital ? La Cour de Karlsruhe tend, en Allemagne, à dire que non).

– Mettre en place un impôt entièrement remodelé avec une tranche à taux zéro et des tranches inférieures à 8%. C’est l’hypothèse privilégiée par Thomas Piketty et les coauteurs de « La Révolution fiscale », dans un scénario censément à revenu constant. Mais dans un tel scénario, le potentiel d’augmentation des prélèvements sur les classes moyennes supérieures est utilisé et les niches fiscales sont supprimées : l’hypothèse Piketty épuise donc, dans la seule réforme de la fiscalité, l’ensemble des marges de manœuvres d’augmentation des recettes existantes. Or chacun sait, sans même parler de dépenses nouvelles, que l’objectif de retour à un déficit public annuel sous la barre de 3% du PIB nécessite d’augmenter les recettes fiscales.

La conclusion est claire : même pour ceux qui pensent qu’à terme, il faut introduire de la progressivité dans la CSG, le contexte budgétaire actuel est défavorable pour la mise en œuvre d’une telle réforme.

Pas d’illusion donc, la fusion des deux impôts, dès lors qu’elle ne peut pas être mise en œuvre rapidement, ne saurait un véritable sujet de campagne. Le vrai sujet est autre : quel profil souhaitons-nous pour l’impôt sur le revenu ? Quelles niches supprimer ou atténuer ? Comment régler le problème (que T.Piketty soulève avec raison mais en proposant de mauvaises solutions) des très hauts revenus ? Axer, par facilité, la thématique de l’imposition des revenus sur la fusion IR / CSG, c’est tomber dans un piège : celui de choisir une modalité avant de se décider sur le fond.

Fusion Impôt sur le revenu et CSG : débat le 21 septembre autour de Thomas Piketty et Michel Taly

Lorsqu’on demandait à Paul McCartney si, et quand il reformerait les Beatles, il répondait : « Pas tant que John Lennon sera mort ! ». Finalement, la fusion de l’impôt sur le revenu (IR) et la CSG, c’est un peu le même principe.

Piketty-TalyCette proposition, partagée par une grande partie de l’UMP, est la pierre angulaire du projet de « Révolution fiscale » de Thomas Piketty, Camille Landais et Emmanuel Saez. Ce consensus transpartisan sur un sujet aussi clivant que l’impôt (et dont on peut donc légitimement s’étonner) offre à ceux qui s’en revendiquent la possibilité de répondre, lorsqu’on leur demande quand, au juste, nous rénoverons notre fiscalité : « Pas tant que l’impôt sur le revenu (IR) et la CSG seront séparés. »

Ce qui revient, au fond à dire : « D’abord il nous faut fusionner ces deux impôts ; et après, on se mettra autour d’une table pour rénover notre fiscalité vers plus de justice sociale et d’efficacité économique ».

Côté Gracques, nous nous sommes occupés de mettre la table à disposition. Et notre point de vue, c’est que la fusion IR/CSG n’est qu’une technique, pas un projet, et encore moins un véritable sujet de campagne. Le vrai projet, ce devrait plutôt être : quel profil souhaitons-nous pour l’impôt sur le revenu ? Quelles niches supprimer ou atténuer ? Comment régler le problème des très hauts revenus ? Autant de questions qu’il importe de traiter sans perdre de temps, plutôt que de tabler sur une fusion qui, au-delà de sa complexité intrinsèque, risque de ne pas atteindre les buts escomptés.

Pour y réfléchir et vous faire votre avis, venez assister au débat qui rassemblera Thomas Piketty et Michel Taly à Sciences Po, Amphithéâtre Jacques Chapsal, le mercredi 21 septembre 2011, de 19h15 jusqu’à 21 heures (27 rue Saint-Guillaume, 75007 Paris) et que nous organisons en partenariat avec l’association Jeune République.

Thomas Piketty et Michel Taly :

 

Thomas Piketty, ancien élève de l’École normale supérieure, est spécialiste de l’étude desinégalités économiques, en particulier dans une perspective historique et comparative. Il a reçu en2002 le Prix du meilleur jeune économiste de France. Promoteur majeur de l’École d’économie de Paris, il y est aujourd’hui professeur. Proche du parti socialiste, il a publié avec Camille Landais et Emmanuel Saez « Pour une révolution fiscale, Un impôt sur le revenu pour le XXIe siècle » préconisant de remettre à plat notre système d’imposition et de réformer en profondeur l’impôt sur le revenu.

A sa sortie de l’Ena, Michel Taly choisit la direction générale des impôts. Chargé de mission pour les questions fiscales au cabinet de Michel Rocard, alors Premier ministre, il devient par la suite Directeur de la législation fiscale. Il poursuit sa carrière de fiscaliste au barreau. Il est aujourd’hui avocat associé au sein du cabinet Arsene Taxand. Grand technicien, praticien et engagé, il propose sur son blog http://www.debateco.fr/category/blog/le-blog-de-michel-taly ses analyses sur les dernières évolutions législatives et, entre autres, les ambigüités fiscales de la gauche.

Les Gracques : « le programme du PS ne nous convient pas »

Article paru le 15 septembre 2011 sur parismatch.com

Très présents dans la présidentielle 2007, les Gracques repren­nent du service.

 

Paris Match.  Le 20 septembre, votre aréopage invite à l’Assemblée tous les élus, et a fortiori les can­di­dats… Mais qui êtes-vous ?
Les Gracques. Dans l’Antiquité, les Gracques sont ces fils de famille qui se retournent contre leur camp pour prôner des réformes sociales. Tant et si bien qu’ils sont assassinés par les leurs. C’est dire si nous ne nous prenons pas trop au sérieux ! Nous nous sommes constitués ainsi en 2007, en voyant que nos idées d’une gauche réformiste n’étaient pas prises en compte et qu’on allait dans le mur. Nous avons, pour la plupart, une double expérience : celle de responsabilités à haut niveau dans des cabinets ministériels socialistes importants ; et celle du privé. Dans une tribune du “Monde” en novembre 2008, nous prédisions que la faillite des Etats était possible et qu’un membre du G10 pourrait bien voir son AAA dégradé… Nous pensons donc être légitimes dans un débat sur des réformes qui demanderont une large assise politique.

 

Vous publiez “Ce qui ne peut plus durer” (éd. Albin Michel), un “manifeste” qui enfreint bien des tabous budgétaires et fiscaux : 2 points de TVA en plus, réduction des dépenses des collectivités locales, suppression des départements… Pas vraiment de gauche, ces mesures !
C’est bien la preuve que nous sommes libres ! Les hausses de TVA, tout gouvernement les fera après 2012, et l’actuel les mettrait en place dès maintenant s’il n’avait à affronter les élections. La TVA sur la restauration notamment, contestée à juste titre par les socialistes, sera annulée dès mai 2012. Notre chemin de sortie de crise passe pour moitié par une réforme fiscale, pour moitié par des économies budgétaires. Dans beaucoup de domaines, il faut radicalement changer d’objectif. Par exemple, il faut sortir de l’idée que tous les Français doivent être propriétaires ou que les classes marchent mieux avec moins d’élèves. Cela multiplie les postes, mais ça ne sert à rien. Ce que nous proposons, c’est une révolution copernicienne pour restaurer une société du respect.

Cela résonne comme du Ségolène Royal… Alors que vos mesures fiscales pourraient avoir inspiré François ­Hollande et qu’en 2007 vous prôniez la jonction avec François Bayrou… Aujourd’hui ?
Si le programme du PS nous convenait tel qu’il est, nous n’existerions pas. Mais nous ne prenons parti pour personne. Et tous les candidats sont les bienvenus le 20 septembre, y compris Bayrou ou Borloo. Il est difficile d’imaginer une majorité en 2012 sans les voix du centre.

Les sénateurs et futurs sénateurs de l’élection du 25 septembre vont être contents. Vous suggérez de piquer les 600  millions d’euros de leur fonds de retraite !
Mais c’est un trésor de guerre ! L’équivalent de vingt ans de prestations, qui pourrait très bien aller au régime général, sans compromettre celles d’élus qui fonctionnent sans aucun contrôle de la Cour des comptes.

 

Dépenses d’hier, dettes d’aujourd’hui et impôts de demain

La trajectoire de l’endettement public et celle du taux des prélèvements obligatoires le montrent clairement : depuis 1974, nos gouvernements successifs ont globalement choisi de recourir à l’endettement plutôt qu’à une hausse de la pression fiscale pour financer les déficits publics…

Cette stratégie aurait eu quelque sens si nous avions structurellement connu un excédent primaire (c’est-à-dire si, en rythme de croisière, nos recettes fiscales avaient été supérieures aux dépenses) et s’il s’était agit de financer quelques campagnes d’investissement en ne recourant à la dette que pour lisser l’effort financier dans le temps. Mais nous avons financé, par cette dette, des dépenses de fonctionnement ou de transfert qui ont naturellement vocation à être prises en charge par la fiscalité.

Plusieurs raisons ont été mises en avant pour justifier un tel choix. La première tient à la mobilité de la base fiscale : les économistes les plus libéraux et, d’une manière générale, les ardents pourfendeurs de toute mesure fiscale supplémentaire ne manquent pas une occasion de brandir le risque de voir, si les impôts sur les plus riches ou sur les entreprises venaient à augmenter, tout ce petit monde se réfugier en Suisse.

S’agissant des entreprises, l’argument de la mobilité n’est pas sans poids. On a pu observer l’attrait des taux d’IS pratiqués par l’Irlande, et l’enjeu est particulièrement fort pour les activités de services : lorsqu’il n’est pas besoin de déplacer des usines, mais seulement quelques serveurs et quelques cerveaux, la délocalisation des entreprises pour des raisons fiscales peut être un vrai sujet.

Mais en ce qui concerne les particuliers, l’histoire montre que les contribuables ne sont pas si prompts à fuir qu’on tente de nous le faire croire. En effet, l’expérience française a démontré par le passé que la tranche supérieure de l’impôt sur le revenu pouvait atteindre 75% (en 1980) sans pour autant que des hordes n’aient quitté le pays. Les Etats-Unis ont eux aussi pratiqué des taux marginaux à la limite du confiscatoire pour les très hauts revenus, et ce même sous le très libéral Ronald Reagan !

On objectera peut-être que les conditions de la mobilité des revenus et des patrimoines n’étaient sans commune mesure à l’époque : c’est faux, les paradis fiscaux sont aussi vieux que l’impôt lui-même (on en retrace des exemples jusqu’à l’an 2000 avant JC) et il était plus facile il y a 30 ans de détenir un compte en Suisse que cela ne l’est aujourd’hui…

L’existence de forts taux d’imposition par le passé a également mis à mal un autre argument libéral : celui de la courbe de Laffer, c’est-à-dire l’idée que trop d’impôt « tue l’impôt » lorsque la fiscalité devient dissuasive. Les années 70 et 80 ont été des années de croissance et nous n’avons pas trace d’un découragement de l’activité lié à une pression fiscale excessive au-delà d’un certain revenu. En réalité, les théories économiques dites du « cycle de vie » tendent plutôt à montrer que les individus raisonnent par objectifs de patrimoine : pour caricaturer, ils travaillent jusqu’à ce qu’ils aient pu s’offrir la maison qu’ils désirent (raisonnablement), la voiture qu’ils désirent, ou la piscine dont ils rêvent pour leurs vieux jours, et ce quel que soit leur taux moyen d’imposition.

Il est également illusoire de penser que l’endettement serait moins douloureux pour la croissance qu’une hausse bien calibrée des contributions. Certes, en empruntant sur les marchés internationaux, les Etats évitent, à l’instant t de prélever la totalité des liquidités dans les circuits économiques domestiques : on met l’étranger à contribution. Mais enfin, il faut bien rembourser un jour en prenant l’argent dans les caisses de l’Etat, c’est-à-dire dans les poches du contribuable. A moyen terme, les arguments tenant au financement de l’économie sont donc spécieux lorsqu’il faut choisir entre la dette et l’impôt.

Non, les seules, les vraies raisons qui ont pu conduire les gouvernements à préférer la dette à l’impôt sont, d’une part, une éthique de conviction, c’est-à-dire le refus pour des raisons idéologiques d’aller au-delà d’un certain taux de prélèvements obligatoires (c’était la logique de feu le bouclier fiscal), mais qui ne s’est pas accompagnée de l’éthique de responsabilité qui voulait que les dépenses soient réduites corrélativement et, d’autre part, de purs arguments électoralistes. Car s’endetter c’est surtout faire porter au gouvernement suivant le chapeau de la hausse des impôts.

Quelles sont les morales de cette histoire ?

La première, c’est qu’il faut arrêter de jeter de l’argent public par les fenêtres en laissant l’Etat s’endetter sur les marchés financiers plutôt que d’augmenter les impôts. En clair : lorsque l’Etat s’endette, il reporte dans le futur la décision d’augmenter les prélèvements obligatoires. Le fait de repousser cette échéance permet aux contribuables de placer ou d’utiliser leur argent dans cet intervalle de temps : cette opportunité a une valeur, un prix de « préférence pour le présent ». Or lorsque l’Etat emprunte à des taux beaucoup plus élevés que ce simple prix du temps en raison d’importantes primes de risques, liées aux doutes des marchés sur sa solvabilité, la collectivité perd de l’argent : elle paie plus cher que ce que lui rapporte la possibilité de remettre à plus tard une hausse des impôts.

C’est d’autant plus vrai que la France dispose d’un très fort taux d’épargne, plutôt mal rémunérée en moyenne : tout en repoussant à prix d’or la décision de renforcer la fiscalité, l’Etat laisse beaucoup d’argent peu productif dans les bas de laine.

La deuxième conclusion, c’est que la meilleure de toutes les règles d’or est le mandat unique, au sens de non-renouvelable ! Un gouvernement qui ne joue pas sa réélection sur son approche de la fiscalité sera beaucoup plus susceptible de limiter le recours à l’endettement. Parmi toutes les garde-fous contre les déficits publics, limiter les principaux mandats exécutifs à un seul tour de piste serait peut être le plus solide…

Les Gracques

Ce qui ne peut plus durer

Chers amis,

Vous l’aurez constaté en vous rendant sur cette page : les Gracques font  une rentrée active, puisqu’elle est pour nous l’occasion de publier un ouvrage (dont nous vous proposons de découvrir l’introduction un peu plus bas) et de lancer un nouveau site plus ouvert, et plus participatif.

Aujourd’hui plus que jamais, il nous semble essentiel de susciter le débat. Le contexte politique, économique, social incite les Français à s’interroger non seulement sur leur présent, mais aussi sur leur avenir. Face à ces questionnements, le contexte électoral qui se dessine laisse peu de place à l’échange constructif.

Si nous voulons avancer vers les changements de paradigmes qui, nous le pensons, sont indispensables,  nous devons le faire ensemble. Grace au débat public qui est l’essence même de la démocratie.

« Ce qui ne peut plus durer », c’est ce que nous avons cherché à identifier au sein de notre ouvrage. Le manque d’exemplarité des élites, les parti-pris erronés ou hypocrites s’agissant d’imposition et de redistribution, les approches conservatrices qui restreignent la croissance sont autant d’exemples d’éléments que nous refusons. D’autant qu’il existe des moyens concrets, mesurables, et actionnables de les dépasser.

Au travers de cet ouvrage, des notes que nous publierons sur ce site, et des événements que nous organiserons au cours des mois à venir, nous espérons nourrir ce précieux débat.

Nous espérons que nos idées seront discutées, bousculées, remises en question. Nous comptons sur vous pour le faire, parce que c’est du débat que naîtra l’élan qui portera la gauche à la victoire et qui nous permettra de construire ensemble, après 2012.

Dans l’attente de vous lire, découvrez ci-après l’introduction de notre nouveau manifeste, « Ce qui ne peut plus durer » (éd. Albin Michel, 2011) disponible dans toutes les librairies dès demain. Vous pourrez aussi en découvrir des bonnes feuilles dans Le Point de cette semaine.

 Les Gracques

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 Introduction de « Ce qui ne peut plus durer« nouveau manifeste des Gracques

 « Les jours heureux. » Ainsi était intitulé le programme du Conseil national de la Résistance au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le message était clair : après la pluie, le beau temps. Au sortir du plus grand conflit de l’Histoire, la vie des Français ne pouvait qu’être désormais meilleure dans un monde meilleur. À l’instabilité et la peur, succéderaient la paix et le bonheur.

Aujourd’hui, c’est l’inverse. Les jours heureux semblent derrière nous. Jamais aucune génération de Français n’avait aussi bien vécu, jamais elle n’avait vécu aussi longtemps. La séquence ouverte par les Trente Glorieuses, fondée sur l’État-providence et relayée par la construction de l’Europe, aura vu s’effondrer la muraille communiste. Et puis le doute s’est installé : l’exclusion qui ronge, le monde qui s’élargit, les technologies qui s’accélèrent, les tsunamis écologiques et financiers. Après le beau temps, la grisaille ; après la stabilité et la confiance, surviennent les crises et l’anxiété. La France se sent vulnérable… Pourtant, dans les sondages, les Français se disent plutôt heureux de leur situation personnelle. C’est quand il s’agit de porter un jugement sur le futur que le pessimisme et le repli sur soi sont de rigueur. Et c’est ainsi que le peuple le plus heureux de la Terre dans le pays symbole de douceur de vivre manifeste plus que tout autre son angoisse pour l’avenir.

Aujourd’hui la France a pris peur : peur de l’autre, de l’étranger, de l’islam ; peur du déclassement et du chômage ; peur des banlieues et des jeunes ; peur de l’avenir et du progrès. Peur de tout. Le Front national et ses émules font commerce de ce sentiment général de vulnérabilité qui nous entraîne vers une société de défiance, parfois hostile aux mécanismes mêmes de la démocratie. Triste symptôme pour une Nation qui s’est longtemps enorgueillie de son influence universelle et représente encore pour tant de pays émergents – et pour beaucoup de sociétés capitalistes – l’horizon rêvé du progrès.

Ce pays s’est constitué par son État et la crise du modèle français est celle de son État-providence. Ses déficits abyssaux instillent la crainte d’un recul de la protection sociale, pour demain si ce n’est pour aujourd’hui. Ce pessimisme est renforcé par le déni d’une classe gouvernante qui aura dissimulé la gravité des ajustements nécessaires le plus longtemps possible. Elle se retranchait hier derrière l’Europe, elle se défausse aujourd’hui sur la crise, le FMI ou la mondialisation.

Exorciser nos peurs : c’est la noblesse de la tâche du politique, sa responsabilité aussi. Ne promettre que ce que l’on est sûr de tenir. Avoir le courage de faire comprendre la complexité et le besoin de durée dans un monde saisi par le court terme, que ce soit sous le joug des sondages ou de la spéculation financière.

Deux mondes cohabitent aujourd’hui. Dans les pays du Sud, l’optimisme est de rigueur, la croissance élève le niveau de vie. Les ménages font des sacrifices considérables pour l’éducation des enfants et les innovations technologiques. Dans les pays du Nord, en revanche, la crise place les élites en état d’accusation. En Grèce d’abord, puis ailleurs, on demande brutalement au peuple des efforts qu’il trouve aussi injustes qu’incompréhensibles. De cette Europe qui doute, la France doit contribuer au sursaut. La prospérité et le savoir-vivre ensemble sont encore possibles à condition d’accepter de s’adapter au nouveau monde. Voilà l’ambition de ce livre écrit à plusieurs mains, ainsi que des notes et débats à retrouver sur le site des Gracques (www.lesgracques.fr) : dire « ce qui ne peut plus durer » et montrer ce que l’on peut construire, ensemble, après 2012.