Université/Recherche : la réforme trahie par la parole?

La crise économique mondiale creuse les fractures sociales et exacerbe les fragilités territoriales. Elle ne doit pas pour autant servir de prétexte pour reporter à des jours meilleurs les principales réformes dont notre pays a besoin afin de préparer son avenir et notamment celui des jeunes générations qui cherchent des motifs d’espérer.

Les débuts de la réforme engagée à l’Université avaient été plutôt prometteurs. La loi avait rapidement ouvert aux universités des marges de manœuvre susceptibles de leur permettre de développer des projets fédérateurs et d‘utiliser au mieux leurs ressources. Des moyens supplémentaires étaient promis aux universités qui accepteraient de se regrouper pour atteindre la taille critique de crédibilité et de visibilité scientifique internationale, en surmontant le morcellement des disciplines et l’émiettement géographique des établissements actuels. Parallèlement, une réforme de la gouvernance et de l’organisation interne des grands établissements nationaux de recherche était lancée, parfois en s’appuyant de façon éclairée sur une évaluation externe indépendante et internationale, comme à l’Inserm avec le rapport Zerhouni. Une dynamique de mouvement et d’adaptation commençait ainsi à se dessiner.

Et pourtant, en ce début de printemps 2009, l’ensemble de ce processus paraît se déliter sous nos yeux. Le décret sur les enseignants-chercheurs, à l’origine d’une mobilisation massive de la communauté académique, a dû être profondément remanié pour tenter de calmer la fronde. Il a cristallisé un front du refus où la fraction de la communauté académique la plus ouverte au changement, aux projets inter-disciplinaires, aux coopérations, à l’évaluation intégrant une part d’objectifs, a fait cause commune avec les éléments plus conservateurs, attachés aux dessins actuels des territoires, à la gestion purement corporative des carrières, et à une évaluation  complètement déconnectée des structures universitaires ou tierces où évoluent les chercheurs.

Pire même, le rejet vigoureux de la réforme du statut des enseignants-chercheurs menace par contrecoup de remettre en cause les acquis de la réforme des universités, car tous ceux qui estiment ne pas pouvoir se fier à un pair, le président d’université élu, pour contribuer à la prise de décision sur l’évaluation et la gestion de la carrière, ne lui font pas davantage confiance pour exercer de plus larges pouvoirs sur l’allocation des ressources, les partenariats ou a fortiori une certaine marge d’adaptation des enseignements.

Les soubresauts des derniers mois risquent d’hypothéquer durablement toute perspective de réforme significative pour les prochaines années, où les trains n’attendront pas.

Ni le manque de vision stratégique, ni l’insuffisance de ressources, ni la carence d’un ministre en charge du dossier ne peuvent être invoqués de façon convaincante pour expliquer le risque majeur d’échec qui pointe. Le choix de certains paramètres du projet était assurément discutable, en particulier l’idée de pénaliser les enseignants-chercheurs les moins bien évalués en augmentant leurs obligations horaires au titre de l’enseignement, bien peu valorisante pour l’activité pédagogique et guère séduisante pour les étudiants ! Mais l’essentiel n’est pas là…

Deux facteurs clefs ont fait basculer dans l’opposition à la réforme une large majorité d’enseignants du supérieur et de chercheurs : un souci insuffisant des modalités de mise en œuvre, qui a semé le trouble ; une parole à tout le moins malheureuse, si ce n’est provocante.

C’est une chose que de décider de donner de l’autonomie à des universités, et du pouvoir à leurs présidents. C’en est une autre que de créer des mécanismes d’exercice de cette autonomie et de ce pouvoir qui soient compris, reconnus, et considérés comme légitimes. Dans beaucoup de pays, quels que soient les textes, ce sont des décennies de pratique qui permettent à des universités de choisir leurs priorités, entre disciplines, entre équipes, et entre enseignants et chercheurs dans des conditions que tous acceptent. Cette pratique est le plus souvent très structurée, parfois très formalisée, parfois moins. Mais elle repose sur un fondement solide : la légitimité des décisions, dans un univers de compétences, ne se décrète pas : elle se construit.

Rien de tel en France. Ce qui existe aujourd’hui est un monde de l’enseignement supérieur et de la recherche divisé. Il est marqué par la primauté, pour la formation, des grandes écoles, et pour la recherche, des grands instituts. Les Universités elles-mêmes sont, derrière la trompeuse uniformité des statuts, d’une grande hétérogénéité de moyens, d’orientations, de qualité. La situation y varie profondément selon les disciplines – sciences humaines et sociales contre sciences dures, droit, médecine. Le plus souvent, cependant, il est caractérisé par une gestion largement corporative et mandarinale des postes et des promotions, encadrée par des textes uniformes et contraignants, et une répartition qui a longtemps été aussi mécanique que possible des crédits entre disciplines pour éviter d’avoir à choisir et à assumer ses choix. Bref, rien qui puisse suffire comme base pour la nouvelle autonomie ou l’exercice des nouveaux pouvoirs, rien qui construise un socle légitime à l’exercice du pouvoir de décision.

Le projet de décret rendait enseignants et chercheurs plus visiblement dépendants de décisions dont rien ne permettait de prédire comment elles seraient prises. Rien n’avait en effet été prévu pour inciter ceux qui auraient à les prendre à adopter des processus de décision qui puissent être reconnus comme légitimes par ceux qu’elles toucheraient. A soi seul, ce défaut, sérieux, n’aurait sans doute pas suffi à entraîner le rejet massif que le texte a suscité.

Ce qui a cristallisé l’opposition, c’est d’abord le maniement mal contrôlé d’un outil crucial de toute conduite de changement, la parole. Le magistère de la parole est un ingrédient-clé de tout processus de réforme. Pour servir au mieux une ambition réformatrice, la parole doit à la fois clairement fixer le cap, remettre en perspective les enjeux, inviter sans ambiguïté aux changements nécessaires de pratiques et de comportements, mais en même temps se garder de toute dévalorisation des professions ou métiers concernés, a fortiori de toute stigmatisation, et éviter de tomber dans le piège de l’amalgame. Le réformateur le plus audacieux sur le fond doit savoir doser à tout moment le registre de la parole au service de son ambition.

C’est ce qui a le plus pêché en l’espèce par moments dans les derniers mois, et jusqu’au sommet de l’Etat. Si les quelques piques ironiques sur l’improductivité présumée des chercheurs français pouvaient aisément émoustiller des auditoires acquis d’avance, elles ont eu très vite un impact dévastateur sur le cours de la réforme, en ulcérant ceux-là même qui pouvaient et devaient être convaincus et devenir au sein de la communauté scientifique des acteurs du renouveau indispensable.

Mais la réforme a aussi été torpillée de l’intérieur par une conception de la gouvernance qui s’accommode fort mal des contre-pouvoirs. C’est une chose de vouloir qu’il y ait un patron, c’en est une autre que de refuser d’asseoir son autorité et sa légitimité sur un processus organisé de discussion et de contrôle.

Souhaitons que d’autres réformes ne connaissent pas un sort analogue. A commencer dans le proche avenir par la réforme de l’hôpital qui, couplée avec la réorganisation territoriale des services en charge de la santé, recèle des germes de progrès pour l’efficience de la gestion hospitalière et pour la qualité comme l’homogénéité du service aux patients. Ici comme partout où l’avenir du pays est en jeu, le volontarisme du projet ne doit pas être trahi par les débordements de la parole, qui procèdent souvent de préjugés et produisent toujours de la régression.

Les Gracques

G20

Ne boudons pas notre plaisir : la réussite du G20 est une bonne nouvelle. D’abord par sa composition : il était temps d’expérimenter une forme de gouvernance mondiale qui reflète l’état du monde actuel. Ensuite parce que le fait de se voir et de se revoir est le meilleur antidote à la tentation qui monte du repli sur soi. Egalement, bien sûr, parce que la célébration de ce succès enraye, pour la première fois depuis des mois et des mois, la spirale de défiance dans laquelle le monde s’enfonçait. Espérons que cette embellie de l’opinion ne sera pas trop fugace. Enfin parce que le sommet a véritablement abouti à quelques progrès significatifs

Nous avions plaidé il y a quelques mois, sous le titre « la bourse ou la vie », pour des mesures renforçant sensiblement les moyens d’intervention du FMI, pour des contrôles sur les hedge funds, pour des règles du jeu applicables aux rémunérations des traders, pour une régulation des agences de notation. Tous ces thèmes figurent dans le communiqué du 2 avril, et nous applaudissons des deux mains. Bien sûr, le débat est ouvert, et continuera, sur le détail des mesures, sur la manière dont elles peuvent être mises en œuvre. Un mouvement est lancé, il va dans la bonne direction et il était utopique d’imaginer que l’on puisse aller plus loin à ce stade.

Est-ce à dire que ces nouvelles règles permettront d’éloigner le spectre de la dépression ou de réduire la durée et la profondeur de la récession ? Non. Du moins, si ces intentions se concrétisent, pourraient-elles permettre de commencer à assainir certains des domaines les plus malsains de la finance de marché telle qu’elle s’est développée au cours des deux dernières décennies.

Que penser du débat sur les politiques de relance économique ? Les moyens additionnels dont disposeront le FMI et les banques multilatérales de développement, vis-à-vis de pays, souvent émergents, en grande difficulté,en particulier en Europe centrale, sont une partie de la solution,: IMF is back, et c’est une bonne nouvelle. Pour le reste, rien de plus que l’addition des dispositifs déjà annoncés au niveau national. L’administration américaine avait plaidé pour un engagement plus massif des européens. C’est ignorer le rôle dans nos pays des stabilisateurs automatiques : attendons de voir l’état de nos finances sociales dans un proche avenir pour mesurer la contribution du welfare state à la reprise. Les américains n’ont pas été suivis, tant mieux : il y a quelque chose de parfaitement irresponsable à ignorer que l’accumulation insensée des déficits publics fait d’ores et déjà partie des problèmes financiers du proche avenir. La réticence des allemands et la prudence française ont été pour nous européens un garde fou utile.

En bref, les politiques macro-économiques continuent sans surprise d’être pour l’essentiel menées dans un cadre national, et la coordination des politiques micro-économiques au sein de l’Union européenne n’est toujours pas couronnée de succès. Néanmoins, on peut se féliciter de  la résurrection du couple franco-allemand qui a su, face à l’attentisme  anglo-saxon,  faire front commun et commencer à définir ce que pourrait être un capitalisme capable de discipliner la finance.

Entre les lignes se sont aussi glissées quelques vraies nouveautés, dont il est trop tôt pour savoir quelle sera la portée réelle, par exemple sur la croissance verte. Mais deux d’entre elles méritent d’ores et déjà d’être signalées. La plus importante est celle concernant la possibilité pour le FMI d’emprunter, emprunt qui pourrait être libellé en DTS (même si le communiqué ne le dit pas explicitement) : écho assourdi de l’idée fracassante émise par les Chinois d’en faire la nouvelle, ou à tout le moins, une nouvelle monnaie de réserve internationale. Si tel devait être le cas, ce serait un changement capital, au cœur même des questions structurelles des équilibres macro-économiques et financiers du monde. La seconde est le regain très bienvenu du rôle attribué aux institutions multilatérales : le FMI, les banques multilatérales de développement, l’OMC, mais aussi l’OIT, à laquelle le communiqué donne un rôle nouveau de suivi, et le nouveau Conseil de stabilité financière, qui prend la suite du Forum de stabilité financière, et en renforce les attributions et la légitimité.