Effusions, fusions et confusions…

Les élections municipales ont vu un large mouvement de balancier vers la gauche ; mais elles ont surtout été marquées par une extraordinaire confusion en ce qui concerne les alliances.

Ici, le P.S. était allié au P.C.F. et aux Verts ; ailleurs, rompant avec une très ancienne tradition, il a maintenu ses listes au second tour contre des maires communistes avec qui il avait jusqu’ici géré la commune. Le Modem a, pour sa part, essayé toutes les configurations d’alliance disponibles sur l’échiquier politique – y compris, dans les Bouches-du-Rhône et au grand dam de François Bayrou, avec le Parti communiste. Des membres du gouvernement et des figures de proue de l’UMP, comme Alain Juppé, se présentaient « sans étiquette » : comme si l’on refusait à l’électeur des informations sur la composition du produit qui sont obligatoires lorsqu’il s’agit du consommateur. Pourtant, la présence d’« OPM », c’est-à-dire d’« organismes politiquement modifiés », en un mot de transfuges de l’autre bord, était cette année une des denrées les plus recherchées dans l’alchimie du dosage des listes…

Cette confusion pousse à son paroxysme la perte des repères politiques constatée avant et depuis l’élection de Nicolas Sarkozy. Car on serait bien en peine de trouver, à ce mistigri des alliances, d’autre logique que celle de la conquête de positions de pouvoir.

Un responsable socialiste, Pierre Moscovici, faisait dimanche soir le parallèle entre la « vague rose » de 2008 et celle qui, en 1977, avait contribué à préparer l’alternance de 1981. Arithmétiquement, la comparaison est recevable. Mais elle s’arrête là. Car à la fin des années 1980, la gauche était porteuse d’un projet (quel que soit le jugement que, rétrospectivement, on porte sur lui), qui se traduisait dans le programme commun de gouvernement. Les alliances étaient, en termes de forces politiques et sociales, la traduction de ce projet. Et de 1977 à 1981, les politiques locales mises en œuvre étaient une préfiguration de ce même projet.

Rien de tel aujourd’hui. On peut donner des élections municipales une interprétation en termes de rapport de forces politiques, constater une bipolarisation renforcée, une évanescence du Front national, même si ses idées demeurent prégnantes, la réduction aux acquêts du Parti communiste et des radicaux de gauche, l’émiettement des Verts, l’échec de la stratégie d’extrême centre du Modem, mais qui pourrait sérieusement y lire le dessin d’une France différente de celle qui a été choisie en mai 2007 ?

Sait-on d’ailleurs bien pour quelle idée de la France les Français ont voté en mai 2007 ? Une France européenne, active dans l’élaboration d’un traité de Lisbonne ou une France jouant cavalier seul dans la plupart des dossiers de politique sectorielle ? Une France réformiste, qui voit s’épanouir les cents fleurs du rapport Attali, ou une France sclérosée, qui ménage ses chauffeurs de taxi et ses buralistes, et peine à respecter ses engagements en matière d’équilibres financiers ? Une France laïque, dont les citoyens sont considérés en fonction de leurs mérites et non de leur appartenance à une communauté, ou une France cléricale, qui attend du prêtre, du pasteur ou de l’imam qu’il vienne au secours du pouvoir d’Etat pour dire le sens, le bien et le mal ?

La Gauche n’est pas mieux lotie si l’on en juge par ses palinodies sur le traité de Lisbonne, ses contorsions sur le service minimum dans les transports ou son grand écart sur les régimes spéciaux de retraite… L’urgence est là : reconstruire un projet, proposer aux Français un chapitre neuf de l’histoire du pays, raconter la France de 2030 telle qu’on peut aujourd’hui la rêver ou l’imaginer. Naguère, la question du leadership ne se serait pas posée : un homme (ou une femme) aurait incarné ce projet, écrit ce chapitre, raconté cette histoire. Aujourd’hui, certains candidats au leadership sont comme des top models qui défilent avec les dernières créations du prêt-à-penser que leur proposent des agences de communication, pourvu que le pli tombe bien et que les coloris captent la lumière.

Il est naturel que la gauche se félicite de ses gains ; il ne faudrait pas qu’ils l’empêchent de voir qu’elle n’a guère progressé dans la voie d’un renouvellement qui pourrait se traduire par le succès au niveau national. Pour cela, il lui faut d’abord un projet, ensuite un leader, enfin des alliances. Toute autre démarche ne conduirait qu’à rééditer les échecs de 2002 et 2007. L’urgence commande.

Peppone et les lasagnes : pour une clarification démocratique à l’échelon local

Le premier tour des élections municipales, le 9 mars prochain, suscite d’ores et déjà une forte attention, à la fois pour les enjeux locaux dans des villes symboliques comme Bordeaux, Marseille ou Toulouse, et pour sa signification politique nationale, dix mois après l’élection présidentielle, dans une phase où le pouvoir enregistre la défaveur marquée de l’opinion. Le premier tour des élections cantonales, qui aura lieu le même jour et qui concerne la moitié des sièges de conseillers généraux, est complètement relégué à l’arrière-plan, alors même que le basculement de droite à gauche d’une demi-douzaine de départements serait, au plan politique, au moins aussi significatif que certains résultats municipaux.

Ceci nous confirme deux choses : d’une part, que l’élection municipale reste (avec l’élection présidentielle) le scrutin favori des Français, celui dans lequel ils se reconnaissent, dont ils comprennent les enjeux et sur lequel ils estiment que leur suffrage a une réelle portée. Même dans une grande ville, le maire reste un élu de proximité. D’autre part, que le reste du « plat de lasagnes institutionnel » (pour reprendre l’expression du député Nouveau Centre Maurice Leroy) : intercommunalités, région ou département, leur paraît à la fois complexe, pour ne pas dire illisible, distant et offrant peu de prise à l’expression de leur vote.

Il est d’ailleurs significatif que la proposition du rapport Attali de supprimer les départements, en dehors du fait qu’elle a été écartée d’un revers de main par le président de la République, ait suscité aussi peu de débats. Nous n’appellerons pas débat, en effet, les polémiques qui ont opposé la « République des experts » à la « République des imbéciles ».

Reste que l’objectif de simplifier le millefeuille administratif français, avec la double perspective d’alléger les charges publiques et de rendre la vie démocratique plus lisible pour les citoyens, demeure plein et entier. Cette double perspective est en effet indispensable à l’acceptabilité de la réforme : on ne peut pas, en effet, vouloir fusionner les petites communes dans des structures intercommunales plus vastes, supprimer les départements et regrouper les régions dans des ensembles de taille européenne et prétendre réduire la fracture civique qui éloigne les élus des électeurs. L’argument économique (économies d’échelle, allègement des charges publiques) ne suffira pas à convaincre les Français – ne serait-ce que parce qu’il leur avait été servi sans produire les effets attendus en 1982, lors du vote des lois de décentralisation, et en 2003, lors de la deuxième étape voulue par Jean-Pierre Raffarin. Il faut aussi que la réforme soit perçue comme contribuant effectivement à rapprocher les élus des électeurs.

Pour nous en tenir au seul échelon local (nous poursuivrons ultérieurement le débat sur le département et la région), nous proposons quatre mesures concrètes qui répondent à ce double objectif :

1° Toutes les communes devront appartenir à une structure intercommunale à fiscalité propre, formule la plus adaptée à la mutualisation des moyens ; la loi fixera un plancher et un plafond à la taille de ces intercommunalités exprimée en nombre d’habitants, afin d’éviter les regroupements qui, par excès ou par défaut, cherchent à contourner l’esprit de la loi ; elle devra prévoir les délais d’adaptation nécessaires, voire des modalités d’expérimentation ;

2° Lors du prochain renouvellement municipal, les organes délibérants des structures intercommunales seront élus au suffrage universel direct ; afin de ne pas multiplier les scrutins, cette élection se fera selon les mêmes règles que celles en vigueur dans les villes découpées en arrondissements : les premiers élus de chaque liste municipale siègeront au conseil communautaire, à proportion du nombre de sièges qui reviennent à la commune ;

3° Pour réduire les gaspillages, les financements croisés et les surenchères clientélistes entre collectivités, les différentes compétences devront être attribuées de manière exclusive à chaque niveau de collectivité ; la Constitution sera révisée pour à la fois rendre obligatoire l’adhésion à une structure intercommunale à fiscalité propre et pour préciser que le principe de « libre administration des collectivités locales » s’exerce « dans la limite des compétences qui leur sont dévolues par la loi » ;

4° Tout cumul de mandats sera prohibé : « un élu, un seul mandat » doit devenir la règle.

La clarification des compétences et l’obligation du regroupement permettront de faciliter la réforme de la fiscalité locale, qui cumule aujourd’hui à juste titre tous les griefs d’archaïsme, d’illisibilité et d’injustice. Nous y reviendrons également dans un prochain article.

L’empilement actuel des niveaux institutionnels ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Mais cette démarche serait incontestablement l’amorce d’un engrenage vertueux de simplification administrative et de clarification démocratique.