Punir et surveiller ?

Le pouvoir n’a pas pu être surpris de la décision du Conseil constitutionnel déclarant non conformes à la Constitution plusieurs dispositions de la loi relative « à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ». Il disposait en effet de suffisamment d’avis et de conseils juridiques, sans compter les avertissements exprimés pendant le débat parlementaire par l’opposition et par plusieurs élus de sa majorité, pour savoir que la rétroactivité d’une mesure de privation de liberté « renouvelable sans limite » se heurterait au principe énoncé à l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen1, dont le Conseil constitutionnel a fait application même s’il a considéré que la rétention de sûreté n’était pas en soi une peine.

Dès lors, la question qu’il faut se poser est : pourquoi le Président et le gouvernement ont-ils pris le risque d’un désaveu aussi sonore que certain ? On ne peut trouver de réponse à cette question qu’en se remémorant les deux faits-divers qui sont à l’origine directe de cette loi : dans un cas, l’assassinat sordide d’un petit garçon par un pédophile récidiviste, dans l’autre le meurtre atroce de deux infirmières de l’hôpital de Pau par un aliéné. Aussitôt, la mécanique implacable de la législation compassionnelle a joué à plein, selon le théorème suivant : tout événement à forte charge émotionnelle qui, au Journal télévisé de vingt heures (et au Journal de 13 heures de TF1), dépasse un niveau donné d’audimat génère un projet de loi, indépendamment de toute évaluation de l’application de la législation existante. L’annonce du projet de loi comme anxiolytique du sentiment populaire, en quelque sorte…      Trois mois plus tard, l’émotion est retombée, le problème soulevé par ces deux crimes aurait pu être examiné à froid, rationnellement, avec recul. Mais le Gouvernement reste empêtré par ses effets d’annonce comme le capitaine Haddock par son sparadrap. D’autant que les deux pulsions en cause, la mort et la folie, sont parmi celles qu’il est le plus difficile d’appréhender, au plan individuel et plus encore collectivement.

Chacun sait aujourd’hui que la population carcérale comporte une proportion élevée de malades mentaux, à la fois en raison de la situation catastrophique de l’hospitalisation psychiatrique publique en termes de capacité d’accueil et de soins, et parce que, ces dernières années, les juges (et les experts judiciaires) ont fait un usage beaucoup plus parcimonieux que par le passé de la notion d’ « abolition du discernement »2. En prison, ces malades mentaux sont peu ou mal soignés et dès lors, à l’issue de leur peine, le risque de récidive est élevé. On instaure ainsi une sorte de course à l’échalote entre deux des institutions les plus sinistrées de la République : l’asile et la prison.

Un autre mérite de la décision du Conseil constitutionnel est justement d’avoir assorti son assentiment relatif à la création de la mesure de rétention de sûreté d’une forte réserve d’interprétation, puisque ce dispositif ne sera applicable que si l’administration est en mesure de justifier que les personnes concernées ont pu bénéficier « pendant l’exécution de leur peine des soins adaptés au trouble de la personnalité dont elles souffrent ». Le sparadrap s’accroche donc de plus belle aux doigts du pouvoir, qui ne pourra pas se prévaloir, pour maintenir en détention des malades mentaux ayant purgé leur peine, de l’insuffisance des soins qu’ils auront reçus en prison. La loi ne trouvera donc à s’appliquer effectivement, pas seulement sur des questions de calendrier, mais aussi en fonction d’efforts qui seront nécessairement considérables (et progressifs, parce que considérables) pour développer les soins psychiatriques en milieu carcéral.

Le Conseil constitutionnel a donc finalement redit des choses simples, que la médiatisation des faits-divers avait contribué à occulter : un criminel est un criminel, un malade mental est un malade mental. Après quoi, la consultation du Premier Président de la Cour de cassation est apparue pour ce qu’elle était : une tentative assez vaine de se défausser de la patate chaude, quitte à creuser un peu plus le fossé entre l’opinion et l’institution judiciaire.

Aussi, puisqu’il a été annoncé que l’enseignement de la morale et de l’instruction civique retrouverait une place éminente à l’école primaire, les sujets des deux premières leçons sont-ils tout trouvés. Instruction civique : « Je respecte l’autorité de la chose jugée ». Morale : « Je ne dis pas de gros mots au salon de l’agriculture ».

Les Gracques


[1] Art. 8 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen : « La Loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée. »

[2] Art. 122-1 du code pénal : « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes. / La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois, la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime. »

Annoncer d’abord, réfléchir ensuite

Cette perte de confiance, rapide et massive, que traduisent les sondages, dix mois à peine après une élection présidentielle marquée par un regain démocratique, une participation très élevée et un résultat qui conférait à Nicolas Sarkozy une légitimité incontestable, est le produit de deux causes principales, aux effets cumulatifs.

La première est sans nul doute le décalage entre les promesses de la campagne (« Je serai le président du pouvoir d’achat et de l’augmentation des petites retraites ») et la réalité (« Les caisses sont vides ») qui a rattrapé le volontarisme verbal du chef de l’Etat Ce décalage a été accentué par l’affichage ostentatoire du goût du luxe et de l’argent, les vacances sur les yachts ou avec les jets privés des amis milliardaires, l’augmentation – même pour des raisons techniquement fondées – du salaire du Président. Nul doute cependant que l’opinion aurait pardonné cet étalage « strass et paillettes » si, depuis mai 2007, le pouvoir d’achat et les petites retraites avaient été revalorisés de 3 %…

Ce n’est pas (au sens institutionnel du terme) une crise politique, ce n’est pas une crise économique, ce n’est pas une crise sociale, c’est une crise de confiance. Elle n’atteint, de façon significative, ni le Premier ministre, ni les principaux ministres. Elle ne provient pas d’un regain d’attractivité de l’opposition, de son projet ou de ses chefs : comme en 2004, les victoires que la gauche est en mesure d’espérer aux municipales seront des succès par défaut. Non, le problème, c’est le Président, sa façon de gouverner et le doute que cette méthode nourrit sur les finalités de son action.

Cette perte de confiance, rapide et massive, que traduisent les sondages, dix mois à peine après une élection présidentielle marquée par un regain démocratique, une participation très élevée et un résultat qui conférait à Nicolas Sarkozy une légitimité incontestable, est le produit de deux causes principales, aux effets cumulatifs.

La première est sans nul doute le décalage entre les promesses de la campagne (« Je serai le président du pouvoir d’achat et de l’augmentation des petites retraites ») et la réalité (« Les caisses sont vides ») qui a rattrapé le volontarisme verbal du chef de l’Etat Ce décalage a été accentué par l’affichage ostentatoire du goût du luxe et de l’argent, les vacances sur les yachts ou avec les jets privés des amis milliardaires, l’augmentation – même pour des raisons techniquement fondées – du salaire du Président. Nul doute cependant que l’opinion aurait pardonné cet étalage « strass et paillettes » si, depuis mai 2007, le pouvoir d’achat et les petites retraites avaient été revalorisés de 3 %…

La deuxième est dans la multiplication des annonces, non pas tant de réformes, mais de mesures ou de sujets à dimension polémique, selon la technique désormais éprouvée du « storytelling ». Ce mot désigne une méthode de communication, expérimentée sur un mode professionnel par Bill Clinton, importée avec succès en Europe par Tony Blair et son conseiller Alistair Campbell, qui consiste pour le pouvoir à imposer son actualité aux médias pour éviter que ceux-ci ne lui imposent la leur.

D’où les discours sur la place du fait religieux, les promesses faites aux pêcheurs du Guilvinec, aux métallurgistes de Gandrange, le projet de noter les ministres, la conférence de presse de début d’année comportant pêle-mêle la fin des 35 heures souhaitée pour 2008, la fin de la publicité sur les chaînes audiovisuelles du service public et le prochain mariage avec Melle Carla Bruni, le parrainage des enfants juifs martyrs de la Shoah par les élèves de CM2… Peu importe que ces annonces ou ces discours soient, dans les jours suivants, démentis, atténués, corrigés : la polémique entretient la machine à « bruit médiatique ». Un peu comme Salvador Dali le disait aux journalistes : « Parlez de moi, même en bien »…

Seulement, la multiplicité de ces annonces a fini par donner le tournis à l’opinion publique, le mélange de ce qui relève de la vie publique et de la vie privée fait perdre le sens de l’essentiel, les corrections, atténuations et démentis donnent un sentiment chaotique d’improvisation. Parce que l’existence même de l’annonce, aussi éphémère qu’une actualité qui chasse l’autre, l’emporte sur son contenu, la méthode se résume à : on annonce d’abord, on délibère après.

D’où le pataquès autour du rapport Attali, emporté par l’engagement inconsidéré d’en mettre en œuvre « toutes les propositions, sauf trois », par le discours « c’est à prendre ou à laisser » de son auteur, et par… deux journées de manifestation des chauffeurs de taxis : la rupture dans le verbe et la bonne vieille soumission aux corporatismes dans la réalité.

D’où aussi, d’une certaine manière, le pataquès de Neuilly : même pour une population aussi peu encline à la révolte contre ses chefs que l’électorat UMP, le parachutage du favori d’hier, sans débat ni discussion, a fait atteindre le seuil d’acceptabilité de la soumission, et donc de la confiance.

Le brouillard de la méthode est aussi un brouillage du sens et des finalités de l’action : est-il européen le Président qui, sur l’interpellation grossière d’un pêcheur du Guilvinec, jette par-dessus bord tous les accords communautaires en matière de politique de pêche ? Est-il libéral le Président qui propose que l’Etat prenne des participations dans le groupe Arcelor-Mittal ? Est-il laïque le Président qui considère que l’instituteur est moins bien placé que le prêtre pour parler du bien et du mal ? Est-il réformateur le Président qui, après avoir cédé aux chauffeurs de taxis, s’incline devant les buralistes ruraux ?

Pourtant, quelques autres et rares exemples montrent que des réformes peuvent, même s’il y a des conflits inévitables, être acceptées de l’opinion et réussir à faire progresser notre pays : le « Grenelle de l’environnement », l’autonomie des universités ou la réforme des régimes spéciaux sont là pour en témoigner. Ce qui les distingue des annonces à finalité médiatique, c’est que la délibération y a précédé la décision. Comme pour nous rappeler que la délibération est l’essence même de la démocratie et le principal ressort de la confiance politique.

Tu veux ou tu veux pas ?

Quel est le point commun entre la royauté et la gauche en France ? Versailles ne leur réussit pas.

On sait comment Louis XVI a mal fini pour avoir méconnu depuis la Cour le sort de ses sujets mécontents. Le PS pourrait connaître après le 4 février la même malédiction. Réunis avec le Parlement en Congrès pour se prononcer sur la ratification du traité de Lisbonne, les socialistes sont pourtant face à un choix d’une rare simplicité. Ou ils considèrent que le mini traité est un moindre mal qui permet à l’Europe politique de repartir et ils votent la révision constitutionnelle. Ou bien ils estiment que ce texte est néfaste et ils votent contre.

Mais dès qu’il s’agit d’Europe, le PS vire marxiste, tendance Groucho. Ou encore Zaniniste , du nom d’un chanteur qui connût une gloire éphémère il y a quelques décennies avec des paroles dont on ignorait qu’elle deviendraient le discours programme des socialistes de 2008 : « si tu veux, tant mieux. Si tu veux pas, tant pis. J’en ferai pas une maladie ». Le titre de la chanson était « Tu veux ou tu veux pas ? ».

Le fait est que le PS ne sait toujours pas s’il veut de l’Europe. Il sait qu’il voulait d’un referendum pour embêter Nicolas Sarkozy ; comme il ne l’a pas eu, il a dit qu’il boycotterait en représailles le Congrès de Versailles. C’était tellement gros que même Groucho Marx n’aurait pas trouvé cela drôle. Alors le PS a dit qu’il irait à Versailles, mais pour s’y abstenir. ça, c’était drôle ! Voilà donc la tragi-comédie à laquelle se livrent les socialistes français à qui l’on souhaite bonne chance lorsqu’ils devront expliquer leur position à leurs homologues européens.

Comment en sont-ils arrivés là ? Les tenants du non ont continué de mener le combat au sein du Parti socialiste. Et la direction du Parti est hors d’état de leur imposer un point de vue, si tant est qu’elle en ait un. A quelques mois d’un congrès décisif, la confusion est à son comble.

Pourtant, trois ans après le fiasco de 2005, chacun sait à quoi s’en tenir. Le non au référendum était l’expression d’un rejet profond de la construction européenne, de sa volonté de créer un modèle social original en économie de marché. Tous les arguments de circonstances invoqués par les « nonistes » ont fait long feu : il  n’y avait pas de plan B. Il n’y avait aucun rapport entre le traité et l’adhésion turque ; le rejet de la troisième partie n’a rien changé aux politiques communes ou communautaires. Les réponses apportées aux questions institutionnelles étaient et restent le meilleur équilibre. Se rallier au projet de traité simplifié, c’est en prendre acte.

Le tango ridicule qu’a dansé le PS ces dernières semaines ne s’explique que parce qu’il n’a toujours pas choisi entre les mirages de la gauche radicale et les vrais espoirs de réformes que portent les autres partis socialistes d’Europe. Il n’est pourtant que temps. En ce qui les concerne, les Gracques ont choisi : ils se retrouvent avec la social-démocratie européenne à voter, sans état d’âme, pour le traité simplifié. Ils demanderont à adhérer au parti socialiste européen, qui incarne ce choix et cette famille de pensée. Et ils plaideront pour que, cet automne, le parti socialiste choisisse enfin clairement la voie de la réforme en Europe.